Mis à jour le 28 janvier, 2022
Née à Lisbonne, Maria De Medeiros a été révélée internationalement par les rôles d’ Anaïs Nin dans le film Henry and June de Phil Kaufman et de Fabienne dans Pulp Fiction de Quentin Tarantino, La Coppa Volpi [meilleure actrice] lui fut décernée lors du Festival de Venise 1994 pour son interprétation dans le film « Deux frères, ma sœur » de Teresa Villaverde.
Souvent membre de jury de festivals de cinéma – nous l’avions rencontré à Dinard en 2012, elle profita également de son expérience de jury Caméra d’Or pour réaliser un documentaire « Je t’aime… moi non plus : Artistes et critiques » où elle s’interrogeait sur la relation entre les critiques et les créateurs »- elle est, cette année, invitée au festival Travelling 2014, consacrée à la ville de RIO, en tant que marraine du festival.
Travelling est également l’occasion pour elle, notamment, de présenter son dernier film « Les yeux de Bacuri »
Le jeune guérillero Eduardo Leite « Bacuri » meurt en 1970 aux mains de la dictature militaire brésilienne, après 109 jours de torture.
Sa compagne Denise Crispim, poursuivie et emprisonnée pendant sa
grossesse, parvient à fuir au Chili après la naissance de la petite
Eduarda.
À Santiago, elle retrouve ses parents exilés, qui ont consacré toute leur vie à la lutte pour la liberté. Mais la violence de la répression rattrape la famille avec le Coup d’Etat d’Augusto Pinochet, obligeant parents et enfants à se disperser à travers le monde.
Aujourd’hui, après quarante ans vécus en Italie et en Hollande, Denise et Eduarda ont fait l’objet d’une amnistie et d’une réparation du Ministère de la Justice au Brésil. La vérité sur le passé ouvre la voie à un avenir plus juste.
Après « Capitaines d’Avril », son film sur la Révolution des Œillets au
Portugal, Maria de Medeiros aborde dans ce documentaire le sujet du devoir de mémoire par le biais d’une histoire d’amour et de transmission entre parents et enfants.
Nous avons rencontré la réalisatrice …
LMG: Vous nous aviez annoncé en Dinard en 2012 que vous veniez de finir tourner Les yeux de Bacuri, pouvez-vous en rappeler les fondements ?
M. De Medeiros: Le film est une commande du Ministère de la Justice Brésilien. La Commission d’Amnistie et Réparation du ministère de la Justice au Brésil, à l’instar de ce qui s’est fait en Argentine ou au Chili, vise à apporter une aide aux familles victimes de la dictature militaire pour se reconstruire. Il s’agit tout à la fois d’une aide économique mais aussi d’une aide d’un point de vue administratif [L’exil n’est pas sans complexité …] et psychologique. C’est une façon pour l’état de faire son mea culpa, de demander pardon, et de tenter de compenser ce qui ne n’est évidemment pas réparable. Mea-culpa que l’Europe n’a pas nécessairement fait, mis à part l’Allemagne … C’est la commission, elle même, qui m’a proposé de faire un film sur l’histoire de cette famille contestataire du régime; les femmes ont survécu, quand les hommes ont disparu. Le cas de Bacuri est un exemple dont j’avais entendu parler, il est l’un de ceux qui ont connu la période de torture la plus longue, 109 jours !
Cette famille est également représentative des familles exilées, et du lien avec l’Europe. Aidé par le régime chilien de Salvador Allende, les opposants au système ont pu trouver temporairement une terre d’accueil avant de, de nouveau, devoir fuir lorsque le régime chilien fut renversé par Pinochet. Je pense que c’est ce lien avec l’Europe qui a donné l’idée à la Commission de me proposer ce projet. Et je suis ravi de constater que le Brésil, au contraire de ce qui se passe dans les pays de la péninsule ibérique investisse sur la culture.
LMG: Quels choix ont guidé la mise en scène ? Étiez-vous libre de tourner le film comme vous le vouliez ?
M. De Medeiros: Oui, j’avais une totale liberté. Ceci dit, le tournage a été très rapide, sur trois lieux différents, où ces femmes habitent: 3 jours à Rome, 2 jours en Hollande ainsi que 3 jours à Sao Paulo. Je mes suis beaucoup inspiré de Shoah de Claude Lanzman, notamment j’ai beaucoup pensé à cette scène où Claude Lanzman demande de façon insistante à l’un de ses interlocuteurs de dire les choses, de livrer son émotion. Claude Lanzman dans Shoah au contraire de tous les autres documentaires qui ont été faits sur ce sujet, n’utilise pas d’image d’archives. Je m’en suis inspiré pour ce film. Les images d’archives sur la dictature militaire sont connues, ont été vues. Ce sont toujours les même. Elles n’apportent rien de personnel. Au contraire, je me suis attaché aux objets personnels de la famille, des photos, des souvenirs, qui ne sont pas si nombreux et qui évoquent beaucoup pour eux.
LMG: Pouvez-vous nous éclairer sur certains des choix de mise en scène à commencer par cette scène d’introduction tirée d’Une journée particulière d’Ettore Scola ?
M. De Medeiros: Ah oui. Cette scène s’est littéralement imposée, que ce soit par rapport au thème du film d’Ettore Scola qui évoque l’arrivée d’Hitler à Rome, la métaphore ainsi filée entre la dictature en Amérique du Sud et le fascisme en Europe qui résonne avec le documentaire, mais surtout en tant que cinéphile, je ne pouvais manquer cette extraordinaire coïncidence qui fait que la famille, avec l’argent en guise de réparation, s’est acheté cet appartement précisément dans l’immeuble où le film d’Ettore Scola a été tourné. Mastroianni y joue un intellectuel homosexuel, exclu de la radio nationale où il était présentateur et menacé de déportation, craignant pour sa vie avec l’arrivée du fascisme, Sophia Loren joue une mère de famille obligée de rester à la maison pour s’occuper des tâches ménagères alors qu’elle serait bien allée voir le Duce comme tout le monde, conformément à l’endoctrinement mussolinien : un mari tout ce qu’il y a de plus machiste et six enfants. Le parallèle avec la vie de Denise m’était évident.
LMG: Le film laisse principalement la parole aux protagonistes. Vous vous mettez volontairement en retrait … La musique également est peu présente, étonnant pour la musicienne que vous êtes …
M. De Medeiros: Oui cela correspond à mon intention et à ma personnalité. Je déplore que trop de documentaires cherche à en faire trop sur la forme. Pour ma part, je souhaitais vraiment que l’intensité ressorte par la seule parole prononcée. J’étais moi-même très émue quand j’ai mené ces interviews, et les discours étaient marqués par la confusion, l’émotion. Le sujet est véritablement là, et il est très sensible. Je souhaitais être le plus fidèle à cela, respecter cela. C’est un devoir de se mettre au service de cette parole. Pour la musique, je vous ferais la même réponse. La musique sert juste à accompagner, elle ne doit pas être mise en avant. [on entend dans le film une Samba de Chico Buarque]
LMG: D’ailleurs on ne vous entend qu’une seule fois poser une question …
M. De Medeiros: Oui… lors du documentaire « Je t’aime moi non plus: Artistes et critiques » j’avais également retenu une seule question à un réalisateur palestinien j’avais demandé ce que risquait un réalisateur palestinien. Il m’avait répondu « Sa vie ». Cette réponse est essentielle. Ce n’était pas intentionnel ici non plus, mais j’ai été inspiré par C. Lanzman comme je vous disais, même si, pour ma part, je ne me sentais pas capable d’insister pour obtenir la réponse qui résume tout, qui résume la souffrance, au contraire, j’ai cherché à instaurer une ambiance de confiance et d’emblée j’ai précisé à Denise qu’elle était totalement libre de choisir ce qu’elle souhaitait raconter. Ensuite le travail de mise en scène réside principalement dans le fait de remettre les choses en ordre, car elles sont dites dans le désordre, dans un certain chaos, une confusion liée à la charge émotive. Mon travail consistait notamment à restituer cela, à proposer un fil tout en conservant l’émotion.
LMG: Le film reçoit-il une bonne critique là où il a été diffusé ?
M. De Medeiros: Oui au Brésil notamment, le film a gagné des récompenses et la critique publique suit. En France, nous recherchons des diffuseurs. Le film n’a pas été co-produit par une chaîne de télévision française, cela rend les choses plus compliquées… Ici le film est présenté en France pour l’une des premières fois …
LMG: Quel rapport entretenez-vous à la critique ?
M. De Medeiros: Je considère qu’il est très important de conserver un espace critique. La France est internationalement connue pour faire de la critique un exercice littéraire, quand bien souvent la critique est un exercice promotionnel. En tant que réalisatrice, je suis bien entendu sensible à la critique. En tant qu’actrice beaucoup moins, les critiques diront tout au plus que vous êtes belles ou ne l’êtes pas…
LMG: Vous êtes marraine de Travelling, et c’est la première fois que le festival a une marraine …
M. De Medeiros: Oui c’est un très bel honneur… Je ne savais pas que j’étais la première marraine du festival ! J’ai été honorée mais aussi surprise, parce que je ne suis pas Brésilienne. Ou alors Brésilienne de cœur. Même si j’ai passé toute l’année dernière à Rio, où je jouais une pièce de Laura Castro, une artiste homosexuelle qui a 3 enfants avec sa compagne, le troisième adopté, les deux premiers sont issus de mère porteuse. Au brésil, une loi autorise cela en toute légalité, et l’enfant a officiellement deux mères. Le Brésil est un tel pays de contraste … Le même jour où la loi sur le mariage homosexuel y était promulgué, une autre loi visait elle à autoriser les cures pour les personnes homosexuelles.
LMG: Vos prochains projets ?
M. De Medeiros: J’aimerais bien que Les yeux de Bacuri sortent en salle … Et mon disque également pourrait sortir en France. J’ai également participé au tournage du dernier film d’Abel Ferrara sur les derniers jours de Pasolini, aux côtés de Willem Defoe. Il ‘a tourné juste à la suite de son film sur DSK.
Pour Travelling, Maria de Medeiros donnera un concert ce dimanche aux Champs libres et interprètera notamment son dernier album, Pássaros Eternose.
http://blogs.leschampslibres.fr/lespremiersdimanches/2014/02/14/linterview-du-vendredi-avec-maria-de-medeiros/
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