Last updated on 11 février, 2018
C’est dans un Auditorium de Lyon comble et par une standing ovation du public que Quentin Tarantino fait son apparition sur la scène pour une leçon de cinéma exceptionnelle ! De nombreux cinéphiles rêvaient de ce moment, une master class donnée par l’auteur de Reservoir dogs, le rêve devient réalité dans l’écrin cinéphile qu’est le festival Lumière.
Avec le débit de mitraillette que nous lui connaissons, multipliant les précisions et les références, Quentin Tarantino se prête volontiers à ce délicat exercice. Une master class passionnante de deux heures qui laissera une partie du public sonnée. Ce mercredi soir 12 octobre, un solide bagage cinéphile n’était pas superflu. Récit.
Propriétaire et programmateur du New Bevelry Cinema
Enfant, l’auteur de Pulp fiction se rêvait patron de sa propre chaîne de télévision. Il n’en sera rien. Quentin Tarantino sera rapidement amener à troquer son intérêt pour la télévision par celle pour le cinéma. Il revient avec le public sur son histoire avec le New Beverly Cinema qu’il a commencé par soutenir financièrement avant d’en devenir le programmateur !
Le New Beverly Cinema est une salle de cinéma mythique dans un bâtiment situé au 7165 Beverly boulevard à Los Angeles qui accueillit tour à tour un magasin de bonbon, un théâtre Vaudeville où l’on pouvait y voir s’y produire entre autres Jerry Lewis ou Dean Martin, un night club avant d’être transformé en un cinéma dans les années 50. Le cinéma ferma en 1977 et fut réouvert en 1978 avec deux affiches incontournables Un tramway nommé Désir et Le dernier Tango à Paris. Suite au décès du propriétaire de la salle en 2007, Tarantino en fait l’acquisition. La programmation devient pour partie la sienne, composée de films projetés en 35 mm, son format fétiche. Il clame alors haut et fort « As long as I’m alive, and as long as I’m rich, the New Beverly will be there, showing double features in 35mm. »
Plus précisément, de Décembre 2007 à Septembre 2014, le New Beverly est géré à plein temps Michael Torgan, et le fils de l’ancien propriétaire Sherman qui prennent en compte les suggestions de programmation du propriétaire du bâtiment, Mr Tarantino.
Il n’est alors pas rare de trouver à l’affiche des bobines 35 mm – ou en 16mm quand le format 35mm n’existe pas- issues de sa collection personnelle démarrée une quinzaine d’années plus tôt .
En Septembre 2014, Tarantino prend lui même la responsabilité de la programmation, et sa collection privée y trouve alors une plus large place !
A lui seul, le programme d’octobre 2016 du New Beverly Cinema, pardon, le « Shocktober 2016« , est représentatif de la cinéphilie du plus célèbre des réalisateurs américains.
Tarantino nous apprendra également lors de cette fascinante leçon de cinéma qu’en plus du New Beverly Cinema, il soutient financièrement, toujours à Los Angeles, un « vrai » vidéo club.
Le festival Lumière projette sa sélection privée « 1970 »
La venue de Quentin Tarantino au festival Lumière 2016 est motivée, entre autres, par la section « Quentin Tarantino : 1970 ».
Cette sélection faite par ses soins comprend quatorze films représentatifs des films sortis en salle en Europe en 1970. Ils ont tous été projetés en copie 35 mm lors du festival Lumière 2016. Parmi ces longs métrages, on trouve La dame dans l’auto avec des lunettes et un fusil d’Anatole Litvak, que, fait rarissime, Bertrand Tavernier n’avait jamais vu !
Quentin Tarantino précise alors que cette sélection comporte des films n’appartenant pas au Nouvel Hollywood et qu’il ne s’agit pas forcément de ses films préférés. Il confesse que son choix a été dicté par la disponibilité d’une copie 35 mm et par l’intérêt du contenu du film pour public …
Un projet d’étude qui fera des petits ?
La fascination que porte Quentin Tarantino sur l’année 1970 est née de sa lecture de Pictures of a revolution, un livre de Mark Harris, à la suite de laquelle il a démarré en 2012 un projet personnel d’analyse des productions filmiques de 1970.
Pour Quentin Tarantino, les choses sont claires : c’est en 1970 que le Nouvel Hollywood, apparu en 1967, a supplanté définitivement le cinéma américain old school. C’est également en 1970 que remontent ses premiers souvenirs de films vus au cinéma…
Durant quatre ans, Quentin Tarantino s’est énormément documenté en lisant notamment les critiques de l’époque du Los Angeles Times et du New York Times et en regardant un très grand nombre de films. Aujourd’hui, ce projet arrive à son terme. Il pourrait faire sous peu l’objet d’un livre, d’un film, ou, qui sait, d’une série TV …
Quentin Tarantino mène sa réflexion sur les suites à donner à ce colossal travail. Entre les lignes, il semble se tramer quelque chose derrière ce projet qui ne devrait pas rester personnel.
Suivra-t-il la voie tracée par son ami Bertrand Tavernier, auteur du Voyage à travers le cinéma français en salle depuis ce mercredi et qui sortira en 2017 au format série TV ? Nous sommes tentés de prendre ce pari. Puissions-nous avoir raison !
Le Nouvel Hollywood selon Tarantino
Quentin Tarantino perçoit le Nouvel Hollywood comme une période de grande liberté et de créativité pour les réalisateurs qui œuvraient alors outre-Atlantique. Sans aucunes contraintes, tous les sujets pouvaient être traités. Pour les réalisateurs, les perspectives étaient énormes. Elles étaient celles d’un nouveau cinéma.
Parmi les nombreux films marquants de 1970, il cite notamment Cinq pièces faciles / Five easy pieces (Bob Rafelson) ainsi que M.A.S.H. (Robert Altman) qui sera projeté sur le grand écran de l’Auditorium de Lyon après son interview. Ces films avaient ouvert la voix à d’autres longs métrages tels que Carnal knowledge / Ce plaisir qu’on dit charnel (1971, Mike Nichols), French connection (1971) et L’Exorciste (1973) de William Friedkin ou Chinatown (1974, Roman Polanski). Il cite également Love story (1970, Arthur Hiller) où s’opère une alchimie entre les deux acteurs filmés d’une nouvelle façon (longue focale, longs plans séquences).
Mais de l’avis du cinéaste, cette trop grande liberté n’était pas tenable. Le Nouvel Hollywood perdura ainsi jusqu’en 1976. En sacrifiant un public familial, le Nouvel Hollywood n’a pas tenu toutes ses promesses. Par exemple, après Watermelon man (1970, Melvin Van Peebles), le vrai cinéma afro-américain attendu n’a jamais émergé. La blacksploitation est venue se substituer au cinéma noir authentique espéré.
Quentin Tarantino poursuit sa réflexion et déplore le même cas de figure dans le cinéma érotique qui, en sortant du genre pornographique, devait bénéficier d’une plus grande distribution pour intéresser un public plus large. Hollywood vixens (1970, Russ Meyer) produit par la 20th century fox a été une énorme succès… non assumé par le studio. Le cinéma érotique est redevenu ensuite un sous genre du cinéma pornographique.
Faire table rase du passé
Quand Thierry Frémaux l’interroge sur comment Hollywood s’est séparé de son passé, Quentin Tarantino constate que les années 50 avaient vu l’émergence de grands cinéastes comme Ingmar Bergman, Federico Fellini, Roberto Rossellini, Akira Kurosawa. A cette époque, les réalisateurs américains bénéficiaient d’une liberté bien moindre mais la contre-culture hippie des années 60 a permis cependant de l’étendre un peu. Mais dès 1970, la rupture a été nette, les enjeux des 60s étaient déjà dépassés sous la radicalisation des mouvements contestataires des campus américains. Zabriskie point (1970, Michelangelo Antonioni) a été le premier marqueur de cette rupture. Quentin Tarantino considère que Woodstock (1970, Michael Wadleigh) a été le dernier film sur les années 60 et que Five easy pieces cité plus haut a servi de passage de témoin. En cela, le film de Bob Rafelson est très précieux pour le cinéphile obsessionnel qu’il est.
Les westerns n’ont pas échappé à la nouvelle vague du cinéma américain qu’a été le Nouvel Hollywood. Ici, Quentin Tarantino cite étonnamment en premier lieu les westerns spaghetti révolutionnés par la veine humoristique de On l’appelle Trinita / They call me Trinity (1970, Enzo Barboni)…
Avant que Clint Eastwood ne prenne le relai, la remise en cause du genre western à la John Ford avait été aussi engagée par Little big man (1970, Arthur Penn). L’année 1970 a aussi été marquée par l’apparition des westerns lyriques tels que Un nommé Cable Hogue / The ballad of Cable Hogue (Sam Peckinpah) ou par le western inclassable qu’est El topo (Alejandro Jodorowsky).
De nouveaux auteurs , de Jodorowsky à Argento !
1970 se révèle être une année cinématographique charnière. Elle a marqué le dernier souffle d’une génération de réalisateurs et l’apparition de nouveaux auteurs qui ont produit leur premier long métrage cette année là : Jack Nicholson avec Vas-y, fonce / Drive, he said, James Bridges avec The baby maker ou encore Alejandro Jodorowsky avec El topo. Et si M.A.S.H. a obtenu la palme d’or en 1970, c’est à Des fraises et du sang / The strawberry statement (1970, Stuart Hagmann) qu’elle aurait dû échoir, là encore un premier long métrage pour son auteur !
Mais si Quentin Tarantino ne devait retenir qu’un seul premier film sur cette fameuse année 1970, quel serait-il ? Ce serait L’oiseau au plumage de cristal / The bird with the crystal plumage de Dario Argento car naît alors une nouveau genre cinématographique : le giallo. Le terme italien giallo désigne la couleur jaune, celle des polars italiens bon marché. Dans l’acception cinéphile de Quentin Tarantino, Dario Argento joue un rôle d’intermédiaire entre Alfred Hitchcock, pour le suspense, et Mario Bava, pour le fantastique.
Pour le cinéma asiatique, l’auteur de Kill bill renvoie notamment à Baby Cart : L’enfant massacre / Baby Cart at the river styx (1972, Kenji Misumi). Un film d’action japonais où le sang, filmé avec virtuosité, devient beauté !
Tous ces films sont intéressants et, pour la plupart, étonnants, voire fascinants. Certains ne sont pas pleinement accomplis mais, dans un dernier conseil, Quentin Tarantino indique que les spectateurs ne doivent pas se demander si ces films sont bons ou mauvais, il faut les découvrir sans l’objectif de leur attribuer une note.
M.A.S.H. et Les films de guerre en 1970
L’heure et demie accordée pour cette discussion est dépassée depuis un quart d’heure… Il est temps d’introduire M.A.S.H. de Robert Altman dont la projection prolongera cette master class. En cinéphile passionné qu’il est, Quentin Tarantino ne saurait se contraindre à ne parler que de ce film. Il nous indique ainsi qu’en 1970, la 20th Century Fox avait produit pas moins de trois films de guerre :
- Tora ! Tora ! Tora ! de Richard Fleischer
- Patton de Franklin J. Schaffner
- M.A.S.H. de Robert Altman
Le premier est celui qui a bénéficié du plus gros budget de production et de marketing. La reconstitution des combats a été aussi colossale que l’échec commercial du film.
Pour Patton, tourné en 70 mm, le gros succès obtenu était assuré d’avance. Ce long métrage de Schaffner nécessite une prise de position des spectateurs. La réalisation a donc été faite pour ménager une porte de sortie à chacun qu’elles que soient ses convictions politiques : film romantique à l’image positive. Il a été récompensé de deux oscars…
De ces trois longs métrages, M.A.S.H. était le moins soutenu par la 20th Century Fox. Le studio de production ne fondait pas de grosses attentes sur ce film confié à Robert Altman, un réalisateur peu estimé par la Fox. Bien que l’action se situe en Corée, M.A.S.H. est le premier véritable film traitant du traumatisme américain de la guerre au Vietnam. Si Quentin Tarantino apprécie M.A.S.H. sans pour autant être client du cinéma de Robert Altman qui, lui-même n’appréciait guère le cinéma de notre conteur d’un soir, il tient a préciser qu’il n’est par contre pas fan de la série TV M.A.S.H.
Ainsi s’achève cette passionnante master class XXL. L’année 1970, trait d’union entre les 60s et les 70s, est pour Quentin Tarantino un millésime cinématographique de premier cru à apprécier sans modération. En 1970, en voyant ses premiers films en salle, il s’initiait au cinéma. Il commençait à forger une cinéphilie qu’aujourd’hui peu de cinéastes possèdent en dehors de Bertrand Tavernier et Martin Scorsese.
En 1970, Quentin Tarantino était âgé de sept ans, l’âge de raison !
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