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Viver Mal: l’envers de l’envers du décor ne vaut pas le décor

Mis à jour le 7 mars, 2023

Un film de João Canijo

Avec Nuno Lopes, Filipa Areosa, Leonor Silveira, Rafael Morais, Lia Carvalho

Cinq femmes gèrent un vieil hôtel. Les clients arrivent au cours d’un week-end et sont entraînés dans une toile de conflit permanent. Viver Mal est le plan inversé du film Mal Viver de la compétition de la Berlinale, révélant tout ce qui flotte dans la profondeur de champ de ce film.

Notre avis: **

Ce pendant du film en compétition (Viver Mal et Mal Viver participent à un projet unique) ne présente pas la même puissance que la première expérience nous fait vivre. Certes, nous retrouvons le sens des cadrages, la dialectique autour du champ et du hors champ, et une photographie travaillée (pour une mise en scène moins léchée ceci-dit), mais l’effet de contraste, sur cet envers du décor (ou ce décor selon que l’on découvre l’un ou l’autre des deux volets en premier) ne produit pas nécessairement ce que l’on aurait pu en attendre. Mal Viver adoptait un ton grave sur un sujet central unique, grave, détouré à force d’ellipses, de petites touches, au hasard de dialogues et regards faisant irruption dans un océan de non dits. Il ne s’autorisait au final que peu de plaisanteries et marquait par son intensité et son intemporalité. Les cris et les chuchotements s’invitent sans jamais traduire une vulgarité ou une facilité, les apparences imposent au contraire une violence sourde, un aveuglément permanent. Viver mal, quant à lui, propose de non plus s’intéresser à la vie des permanents, cette famille marquée par son passé, ses drames internes qui ont laissé au delà des traces des blessures infinies, mais à ceux qui sont de passage dans cet hôtel, et y amènent également leur lot de désolation, leurs problèmes. Le ton, volontairement, se fait plus léger: si un théâtre se joue là aussi dans chacune des chambres, dans chaque recoin de l’hôtel, s’il génère pareillement divers cris et chuchotements, nous quittons la grande tragédie intemporelle, pour la tv novella. La multiplication des problèmes (et non plus l’intensification d’un problème originel) nous fait certes sourire – tout nous semble d’un coup spectacle régulier et inéluctable, avec des protagonistes enfermés dans leurs partitions, et pour la plupart, agissant en diva plutôt ridicules – mais deux composantes qui faisaient toute la puissance du premier volet disparaissent avec elle. La première, sur le fond, tenait à la dimension mi-psychologique, mi-psychiatrique, mi-mythologique de la tragédie. Puisque dans ce second volet, le schéma originel ne se reproduit plus au sein de la famille, mais d’une famille à l’autre, le spectateur y voit bien plus un effet d’aubaine, un effet tout court du scénariste, qu’un sujet de fond décortiqué et abordé avec radicalité (à la Bergman). La seconde, sur le plan formel cette fois-ci, tient au caractère non bijectif de l’effet miroir. Autant Mal Viver suggérait que le mal de la famille ne pouvait se résoudre du fait d’une incommunicabilité liée intrinsèquement à l’absence d’intimité, au brouillage permanent des lignes par ce manège récurrent autour de la vie de l’hôtel en lui même, ces visiteurs omni-présents, tout à la fois spectateurs et acteurs du drame noué ou qui se noue, autant Viver Mal ne parvient pas à former un tout qui puisse se justifier de lui même et renvoyer avec force au premier volet. L’effet elliptique du premier volet, quand il nous semblait que des pièces essentiels du puzzle pouvaient manquer, délibérément, pour laisser libre court d’une part à l’interprétation, l’imaginaire du spectateur (ou bien sa curiosité), vole lui aussi en éclats dans ce second volet. Les ellipses hors champs, suggestives des problèmes de la famille tenancière de l’hôtel ne portent ni le même mystère, ni ne permettent de véritablement interférer avec les petits drames auxquels nous assistons, si ce n’est en respiration plutôt rigolote à office de transition. Ainsi, Viver mal peut apparaître, plutôt que comme un miroir de Mal Viver, comme son making off, ou ses rushs, à juste titres, coupés, pour mieux se recentrer sur un sujet suffisamment complexe et intense pour ne jamais s’en écarter. Il n’en reste pas moins que l’ambition conceptuelle d’ainsi proposer deux volets prolonge de façon très intéressante l’expérience du premier volet, que João Canijo eut eu tort de s’en priver, et que les organisateurs de la Berlinale ont eu une brillante idée à proposer ce second volet dans une autre section.

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