Depuis le dernier Festival de Cannes, un petit félin noir a pris le large et s’est faufilé dans les salles de cinéma françaises et internationales. Son nom ? Flow. Mis sur le devant de la scène par le réalisateur letton Gints Zilbalodis, il a raflé coup sur coup le César et l’Oscar du meilleur film d’animation, une reconnaissance symbolique pour le pays, nommé pour la première fois à ces deux cérémonies.
Une victoire d’autant plus remarquable si l’on considère que ses concurrents aux Oscars affichaient des budgets astronomiques, jusqu’à 200 millions d’euros – à l’image du mastodonte Vice-Versa 2 signé Pixar – là où Flow s’est contenté de “seulement” 3,5 millions d’euros pour exister.
En recevant sa récompense le 3 mars dernier, Gints Zilbalodis s’est dit « honoré », espérant que ce prix « ouvre les portes aux films d’animation indépendants du monde entier ». Le réalisateur en a également profité pour remercier ses équipes réparties entre la Lettonie, la France et la Belgique, et Blender, un logiciel libre de modélisation d’animation par ordinateur : « Tout le monde peut y avoir accès, c’est peut-être l’occasion de voir des jeunes, qui n’avaient pas les moyens de réaliser quoi que ce soit avant, arriver dans l’industrie », a-t-il défendu en conférence de presse.
Second long-métrage du cinéaste après Ailleurs (2019), Flow, Le chat qui n’avait pas peur de l’eau, est applaudi par les spectateurs du monde entier. À ce jour, il enregistre 650 000 entrées en France, enchaînant sa dix-neuvième semaine en salle, depuis sa sortie le 30 octobre dernier.
Entièrement muet et plutôt confidentiel, le film avait du « mal à trouver son audience » selon son réalisateur. Aujourd’hui, il accumule sur Allociné et Letterboxd des notes quasi parfaites tournant autour de 4/5. Son aura tient sans doute à sa poésie universelle, portée par un récit où la communication dépasse les mots.
Flow, raconte l’histoire d’une cohabitation forcée : réfugié sur un voilier dérivant dans un monde englouti par les eaux, un petit chat doit partager son embarcation avec un capybara, un labrador, un lémurien et un messager sagittaire. Tous issus d’espèces différentes, ils n’ont aucun langage commun, mais trouvent, malgré tout, un moyen de s’entendre. Un défi de taille pour un félin, animal farouchement solitaire.
Alors, pourquoi ce chat noir fascine-t-il tant ? Peut-être parce que son odyssée résonne avec notre époque, où la nécessité de faire société n’a jamais été aussi criante. Le film expose la puissance de l’amitié et rompt avec l’individualisme prôné par les sociétés capitalistes. Ici, il faut être plusieurs pour avancer dans un environnement où ni la langue ni l’origine importe.
Flow dessine les contours d’un monde vidé de ses habitants, une planète engloutie où l’homme n’est plus qu’une ombre du passé. Dans cette ère post-apocalyptique, que l’on devine proche, la nature a repris ses droits, imposant son propre équilibre. Une idée que l’on peut percevoir comme une sorte d’avertissement ou d’alerte au dérèglement climatique. Son animation, dont l’esthétique évoque par moments celle de la série Arcane sur Netflix – inspirée d’un jeu vidéo – se distingue par sa douceur et son immersion totale – les mouvements et les cris des animaux étant réels – amplifiant la charge émotionnelle et la poésie du récit.
Enfin, au cœur du film, l’animal impose son propre langage, laissant au spectateur le soin de s’y adapter, et non l’inverse. Cette approche confère à Flow une portée universelle : dépourvu de barrières linguistiques, il peut être compris par tous, dans n’importe quelle région du globe. À ce sujet, Gints Zilbalodis estime que l’on peut « signifier beaucoup plus sans les mots », le cinéma constituant son « propre moyen d’expression ».
Avec Flow, le réalisateur letton, signe bien plus qu’un film d’animation : une expérience sensorielle où l’image et le mouvement suffisent à émouvoir. Le succès de son film témoigne d’un besoin grandissant pour un cinéma plus contemplatif, plus instinctif, moins formaté et capable de toucher sans artifice. Aux Oscars, en clôturant son discours de remerciement, Gints Zilbalodis a tenu à rappeler : « Nous sommes tous dans le même bateau, il faut surmonter nos différences et trouver un moyen de travailler ensemble ». Une belle façon de rendre hommage à son petit chat Flow, désormais symbole de solidarité et de cohésion.
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