Depuis sa présentation à la Mostra de Venise, Nos âmes la nuit a fait couler beaucoup d’encre, profitant de l’engouement suscité par son duo de stars. Jane Fonda et Robert Redford, réunis près de quarante ans après Le Cavalier électrique (Sydney Pollack, 1979) ; l’affiche est, il est vrai, alléchante. Disponible depuis le 29 septembre sur Netflix, il restait à juger le film sur pièce. Le Mag cinéma vous livre son verdict.
Une femme, un homme, une rencontre. Le récit de Nos âmes la nuit confine à l’épure. Adapté du roman éponyme de Kent Haruf (publié en 2015), le film se concentre sur la relation de Addie (Jane Fonda) et Louis (Robert Redford), voisins et octogénaires. Loin de l’emphase habituelle des comédies romantiques contemporaines, le scénario de Scott Neustadter et Michael H. Weber cherche se développe à travers une rythmique continue et sereine. Pour ces deux amants, l’heure n’est plus au tragique, et chaque élément de leur relation vaut d’abord pour lui-même. Délivrés du fatum amoureux, Addie et Louis cherchent simplement à résoudre leur solitude par une proximité physique et sentimentale. Dans un registre totalement différent, Michael Haneke avait lui aussi avec Amour (2012) cherchait à décrire ce sentiment d’un autre âge. On retrouve dans Nos âmes la nuit la même impression de huis-clos mais sans l’atmosphère asphyxiante et finalement annihilante du film d’Haneke.
En se dégageant du mortifère, le réalisateur Ritesh Batra (à qui l’on doit le très beau Lunchbox), adapte sa mise en scène à l’esprit du couple. Les couleurs sont chaudes mais nullement artificielles, la forme répondant au refus du sentimentalisme exigé par le fond.
Le découpage impose son tempo, se fondant dans la répétition de gestes, bientôt devenus des habitudes, et qui accusent le passage du temps. Cette durée rendue sensible par la réitération apparaît encore à travers la bande-musicale du film, ritournelle soumise à d’infimes variations.
On regrettera alors l’évolution conventionnelle du film dans sa dernière partie. Les difficultés familiales d’Addie, faisant écho à celles de Louis, alourdissent quelque peu l’ensemble. Il aurait sans doute été préférable que le scénario parvienne à se détacher de son modèle littéraire pour trouver dans les silences éloquents des deux personnages la matière première de son drame.
Car celui-ci est superbement porté par son duo d’acteurs. Jane Fonda retrouve en Addie son personnage de femme forte et indépendante, tandis que Redford prolonge le méta-discours sur sa persona amorcé au moins depuis Randonneurs amateurs (Ken Kwapis, 2014). La sensibilité contenue de l’actrice répond au mutisme calculé de son partenaire. Le sous-jeu de Redford permet d’accentuer la prégnance de son regard, d’abord décontenancé par la proposition d’Addie, puis amusé, pour finalement exprimer sans un mot les non-dits de quelques souffrances enfouies et pérennes. Il ne faudrait pourtant pas oublier les seconds rôles, et en premier lieu Matthias Schoenaerts qui après Bullhead et De Rouille et d’os prouve sa grande maîtrise des rôles pulsionnels.
À côté des déflagrations sublimes de Blade Runner 2049, nous conseillons donc à nos lecteurs la découverte de cette petite fable qui sous ses atours quelque peu convenus, dissimule une grande richesse. Dommage que celle-ci n’ait pu trouver sa place dans les salles de cinéma.