Mikaël, un médecin, rode toutes les nuits entre les patients malades et les ruelles étroites et dégradées où habitent les toxicomanes. Absent auprès de sa famille, infidèle, embrigadé dans les affaires de fausses ordonnances de Subutex par son cousin, sa vie se résume à l’enfer. Mais cette nuit, il décide de se relever.
Première critique: l’âme russe, Macaigne étonnant et une ambition formelle intéressante
Elie Wajeman a tenté un pari en confiant à Vincent Macaigne un rôle que beaucoup auraient pu penser à contre emploi, tant il s’est inscrit film à film dans l’imaginaire comme l’anti-héros mi-romantique mi-névrosé, qui agace et séduit par son moi surdéveloppé, et un sens de l’auto-dérision qui va de pair avec une certaine incapacité à avancer sans les autres, sans le regard des autres. Ce personnage, inventé peut être dans les années 90, lui colle à la peau dans le paysage du cinéma d’auteur français. Mais avant Wajeman, d’autres, comme Anne Fontaine par exemple dans Les innocentes- avaient réussi à aller chercher une composante plus adulte, ou plus grave chez lui. Les amateurs de théâtre ne sont d’ailleurs pas sans savoir que lorsqu’il se mue en metteur en scène son exigence envers les autres peut virer à la tyrannie, qu’il a pu interprété ou mettre en scène des pièces d’auteurs aux univers fièvreux tels que Sarah Kane, Paul Claudel, Lars Noren, Shakespear et Fiodor Dostioveski. Ses performances de comédien sur scène avaient marqué Elie Wajeman, qui pensant dans un premier temps lui confier le second rôle, fut convaincu qu’il pourrait composer avec aplomb un personne depardiesque, voire dewaerien, torturé, doux et fort à la fois, capable du meilleur comme du pire.
Car le sujet du film se situe avant tout autour de ce personnage tourmenté de médecin de nuit, à un moment charnière de son existence, qui, dans le tourbillon incessant de son environnement professionnel comme de sa vie sentimentale, s’est laissé envahir, déposséder, au point de ne plus réellement parvenir à suivre une direction linéaire et cohérente. Multiple, ambivalent, il nourrit en lui des sentiments contraires, toujours guidé par ses idéaux, sa volonté de bien faire, de montrer une face chevaleresque, mais également dominé par ses démons, sa volonté de changement, d’aventures, une rage qu’il entretient sourdement. Autour de lui, ses repères vont se disloquer, l’amener à prendre des décisions, dans une nuit marquée par l’urgence de son métier, et de sa propre situation. La figure emprunte beaucoup à la littérature russe (on pense à l’un des deux ainés des frères Karamazov, Wajeman songeant plus encore à Tchekov) mais aussi aux héros ombrageux du Nouvel Hollywood dont s’est nourri le réalisateur (Comment ne pas penser en effet à Al Pacino, dans Serpico de Lumet plus que dans Scarface, dans une moindre mesure à De Niro dans Taxi Driver, mais aussi, quelques années à plus tard à Harvey Keitel en Bad Lieutenant, ou, osons le parallèle, à Rick Degard (Harrison Ford dans Blade Runner, sans le côté futuriste bien entendu).
D’autres ont pu remarquer une filiation , parce que le film s’intéresse au microcosme des parisiens de la nuit, des toxicos et des prostitués à Neige pour la version pigallo-arty, et à Tchao Pantin pour la fiction oscillant entre violence, et grand coeur. L’intention de Wajeman sur le plan formel était de fait double. Il met volontiers en avant le style film noir, voire roman noir, citant même A bout de souffle de Godard dans ses inspirations, aux ambiances si particulières, mais par ailleurs, son personnage de médecin de nuit présente une fonction qui n’est pas si fréquente, et qui en fait un personnage tout désigné pour le cinéma, d’observateur privilégié de la société dans sa plus grande diversité, dans ses marges visibles ou invisibles, dans son intimité lorsque les masques tombent et les apparences ne sont plus de mise.
En cela, le médecin de nuit de Wajeman rappelle celui inventé et décrit par Bernard Kouchner dans la série éponyme, celui qui vient nous montrer une ville la nuit, dans ses turbulences, mais aussi nous amener à la rencontre de ses habitants. Quelque part, une dimension documentaire s’invite dans la fiction, (et non l’inverse, nous sommes aux antipodes, et nous l’apprécions de l’entreprise de Chloe Zhao dans Nomadland) même si le mariage avec le film noir, la dramaturgie, impose que la fiction reprenne régulièrement le pas, les quelques scènes d’intervention médicales rendent compte de tout autre chose, et jouent également une fonction de régulation de la tension.
L’ambition formelle relevait donc d’un certain défi, piégeur. La qualité de l’enrobage (lumière, photographie et musiques soignées), l’interprétation convaincante du duo masculin Vincent Macaigne / Pio Marmai, et de son pendant féminin, Sarah Le Picard, Sarah Giraudeau qui composent des personnages opposées et loin d’être secondaires dans l’écriture, le rythme dans l’ensemble bien tenu – nous regretterons juste quelques scènes quelque peu répétitives au centre du récit -, le scénario plutôt habile qui prend le soin de proposer des moments charnières, de soigner l’évolution du personnage, d’éviter le piège des poncifs, ou de l’absence de nuances, le regard plus aimant qu’accusateur porté sur l’ensemble des personnages, permettent à l’exercice de style de se transformer en œuvre intéressante, qui si elle ne nous surprend pas plus que de raison, ne se laisse jamais deviner pleinement.
F. R.
Seconde Critique : film noir, vraiment ?
Elie Wajeman voyait en son film le reflet des grands polars américains des années 1970 où tension, suspense, actions sont au rendez-vous. L’utilisation de la caméra à l’épaule pour instaurer un mouvement permanent, une instabilité qui sied bien au film noir pouvait être une réflexion prometteuse. Mais le réalisateur ne parvient que rarement à nous emmener dans son univers …
Médecin De Nuit ambitionne de plonger le spectateur dans une ambiance macabre, inquiétante et emprunte pour cela aux techniques cinématographiques du Nouvel Hollywood.
Le réalisateur affuble ainsi ses personnages des costumes attitrés pour leur conférer une singularité, comme il opte pour de nombreuses scènes de déambulation nocturnes en voiture dans un Paris brumeux. Tout se passera en une seule nuit.
Un regard intéressant se porte sur les toxicomanes (regard du médecin de nuit reflet du regard du réalisateur), bien aidé par une interprétation convaincante de l’ensemble du casting. En ce qu’il nous confronte à des personnages victimes d’eux mêmes, dans la nécessité de vivre sous perfusion, de se soulager grâce à la drogue, le film vise juste et nous déstabilise par son rapport fidèle à la réalité. La musique se charge de transmettre des sentiments, de perceptions douloureuses : elle bouleverse par ses sons graves, anime les actions, maintient en éveil, contribue à l’atmosphère générale. Le choix des décors, les ruelles sombres et étroites de Paris contribuent eux aussi au jeu sur la tension dramatique. Mais un sentiment inachevé se fait ressentir. Dans ses scènes plus intimes, dans ses dialogues, dans ses situations plus en lien avec le quotidien, Médecin De Nuit manque de nous émouvoir lors même que le thème devait s’y prêter.
Si la mise en scène parvient à transcrire le côté obscur, le côté loqueteux des trajectoires des personnages, d’autres éléments perturbateurs viennent en contraste et nous détache de là où le réalisateur ambitionnait de nous emmener.
Vincent Macaigne porte le film sur ses épaules. Il interprète un homme blasé, perdu, malheureux et tiraillé par quelques mauvais choix, certains liés à la toxicité de la relation avec son cousin. La monotonie de sa vie est mise en exergue de façon très explicite dans ses allées et venue, par la répétition de gestes, ce qui a pour effet de nous lasser. Cet accent mis sur le portrait se fait au détriment de scènes plus énergiques, plus symboliques et en lien avec la dramaturgie qui se noue dans la nuit parisienne.
En premier abord, Vincent Macaigne parvient à diffuser le désarroi de son personnage, mais jamais il ne parvient à lui conférer une épaisseur supplémentaire. Son regard ne dégage le plus souvent qu’une impression de vide, inexpressif et rémanent, qui nous prive de pouvoir entrer en empathie avec les lui, de s’émouvoir des épreuves qu’il traverse. Hélas, d’une manière générale, le détachement des interprètes vis à vis de leurs personnages se remarquent aussi chez les autres interprètes. Des dialogues plus forts et des visages plus démonstratifs nous auraient aider à nous identifier, à nous attendrir, à nous faire réagir quant au sombre des situations individuelles. En lieu et place, nous restons sur une promesse d’un film que l’on aurait aimé plus intense, plus resserré, et plus proche de son ambition première.
N. G.
Rencontre avec Elie Wajeman
Nous avons rencontré Elie Wajeman et sommes revenus avec lui sur un ensemble de points du film