Site icon Le Mag Cinéma

Mais vous êtes fous! d’Audrey Diwan, apparences trompeuses

Roman aime Camille, autant qu’il aime ses deux filles. Mais il cache à tous un grave problème d’addiction, qui pourrait mettre en péril ce qu’il a de plus cher. L’amour a-t-il une chance quand la confiance est rompue?

Le synopsis du film nous a d’emblée indiqué l’une des thématiques que le film d’Audrey Diwan cherche à adresser. Au départ de ce film, un fait divers qui vient à l’oreille de la future réalisatrice, et les interrogations qu’il comporte: un homme dépendant à la cocaïne contamine sa famille toute entière. Les traitements du faits divers par la presse sont laconiques, réducteurs. Derrière ce fait divers peu banal, la première question qui vient à l’esprit est: comment cela a-t-il bien pu être possible ? Sur le plan technique bien sûr, mais aussi sur le plan humain. Comment une mère a-t-elle pu ainsi être trompée par un homme avec qui elle vivait quotidiennement ? N’est-elle, elle même, pas coupable ou en tout cas complice, comme il semble plus simple de le penser, et comme certains journaux affirmeront sans aucune précaution. Audrey Diwan rencontre cette jeune femme, les questions restent entières: Audrey Diwan sait alors qu’il s’agira de son premier film. Si ce sujet l’intrigue, il devrait en être ainsi des spectateurs.

Il faut alors bien avouer que la première partie du film fonctionne précisément sur ces question. Elle expose la situation: la jeune mère, incarnée par une Céline Salette tout à fait crédible, et son mari, interprété par Pio Marmai, une évidence pour Audrey Diwan mais aussi pour nous, nous sont présentés d’abord dans leur quotidien puis face au drame qui se met en place de façon très improbable, disons accidentelle. La réalisatrice prend ensuite soin de parsemer son récit, à la manière d’un scénario de bon polar, de petits indices glissés ici ou là, qui permettent au spectateur enquêteur de cheminer parmi les différentes éventualités. Ce procédé fonctionne, il désarçonne tant le fait divers s’avère hors du commun et emprunt de mystère.


Notre regard critique eut pu être sévère si le jeu de pistes qui nous était offert était par trop simpliste, direct, ou manipulateur. Il l’eut été bien plus encore s’il ne menait nul part ou s’il se voulait être l’unique sève de « Mais vous êtes fous !« . Mais vous l’aurez sans doute deviné, ces écueils là, Audrey Diwan parvient à parfaitement les éviter, en nous livrant un film bien différent dans sa seconde partie, très étudiée, qui ne vient pas tant brouiller les pistes initiales, mais au contraire déplacer l’intrigue policière vers un champ de curiosité – des thématiques – beaucoup plus large.

Il ne s’agit plus tellement de poser la question comment cela est-il possible, mais bien plus de s’interroger sur les à côtés, les corollaires, les causes et les conséquences … Il s’agit de rapport aux autres, il s’agit d’un regard extérieur, il s’agit d’amour, il s’agit d’un combat, il s’agit d’une équation, d’un rapport à soi et à l’autre. L’addiction devient la thématique centrale, non plus au travers de l’enquête en elle même, mais au niveau de la relation intime que les deux protagonistes principaux vivent. L’addiction, n’est peut-être pas si unilatérale … D’autres formes d’addictions viennent à s’inviter dans le miroir que nous propose Audrey Diwan … Qui sont-ils au juste, les fous ? Eux ou ceux qui jugent ?

La singularité de la forme choisie vient elle aussi avec son lot d’interrogations. Beaucoup auraient opté pour un cinéma purement réalité, d’autres auraient choisi la facilité de s’intéresser à la souffrance, à la difficulté … Dans un cas comme dans l’autre, la caméra se serait longtemps intéressé à un pathos appuyé; la lutte contre l’addiction, le combat pour se reconstruire ne sont pas sans heurts, sans colère, sans larmes. Ces derniers constituent une matière cinématographique presque inépuisable, et en général, pour peu que le réalisateur soit habile, il parvient à embarquer ses spectateurs, à l’émouvoir.

Sans trop en dire, Audrey Diwan prend un parti formel contraire; elle propose un genre à part entière, se fait fi précisément de cet angle d’attaque là.

Au final, les questions demeurent, même si de nombreuses réponses ont été apportées. Nous étions donc ravis de pouvoir directement nous en entretenir avec Audrey Diwan, mais aussi avec Céline Salette, tout à la fois détendue et très à l’écoute de son amie, qu’elle avait rencontrée quand cette dernière était encore journaliste.

Quitter la version mobile