Le comportement du jeune Minato est de plus en plus préoccupant. Sa mère, qui l’élève seule depuis la mort de son époux, décide de confronter l’équipe éducative de l’école de son fils. Tout semble désigner le professeur de Minato comme responsable des problèmes rencontrés par le jeune garçon. Mais au fur et à mesure que l’histoire se déroule à travers les yeux de la mère, du professeur et de l’enfant, la vérité se révèle bien plus complexe et nuancée que ce que chacun avait anticipé au départ…
Kore-Eda, toujours aussi productif, continue de filer une œuvre cohérente, dans laquelle la thématique de l’enfance et de la famille, abordée sous des aspects le plus souvent sociologique, occupe une place prépondérante. Si pendant longtemps le réalisateur fut affublé du réducteur surnom de « Truffaut Japonais« , eut égard précisément à ces obsessions mais aussi à son goût prononcé pour les structures narratives limpides et intelligemment romancées, force est de constater qu’il s’évertue de films en films à alterner entre une œuvre linéaire, qui formerait un tout, mais aussi à s’autoriser quelques sorties de routes, des tentatives ici ou là, pour s’essayer à des domaines ou à des styles qui l’intéressent mais sur lesquels on ne l’attend pas nécessaire. The Third Murder, par exemple, aux relents doistoievskiens, dépareille fortement dans sa filmographie. A la fois renard et hérisson, pour citer feu Michel Ciment et avant lui Isaiah Berlin.
Avec l’innocence (qui se nommait Monster à Cannes), si de manière évidente sur la thématique première sa nature de hérisson ne fait aucun doute, sur les thématiques secondaires, comme sur la forme, Kore-Eda s’aventure sur des terres plus étrangères à son cinéma primordial.
Ainsi, opte-t-il par exemple sur une structure narrative à la Rashomon (ou The last Duel plus récemment). Ainsi convoque-t-il, dans son dernier tiers des enjeux sociétaux qui s’inscrivent parfaitement dans notre époque, visant l’universel par le prisme de l’opprimé.
Cette ambition « littéraire », de nous livrer son récit de façon volontiers parcellaire dans un premier temps, pour pouvoir ensuite combler les ellipses petit à petit, permet naturellement de maintenir l’intérêt (et l’éveil) du spectateur, qui se retrouve tel face à un polar, en position de détective chargé de reconstituer la vérité (sans rapport aucun avec le film éponyme du même réalisateur) à partir des différents points de vue, des éléments connus et des zones d’ombres qui viennent progressivement à être levées. Elle permet aussi à Kore-Eda de pouvoir masquer son jeu, et de ne pas aborder frontalement son sujet véritable, mais de pouvoir l’introduire petit à petit, lui permettre d’infuser petit à petit dans les esprits, pour mieux se révéler er retarder son effet (émotionnel) le plus longtemps possible, pour que son apogée n’en soit que plus marquante.
Par ce travail imminemment précis, mais aussi en ce qu’il comporte sa part de « twist », Kore-Eda parvient assurément à construire un scénario patient, bien ficelé qui, comme souvent chez lui, contient sa jolie part de vertiges. L’enfance, la famille, le terreau social, les unions, et ruptures, les différences d’opinion liées à la condition sociale, s’invitent au tournant, passées au peigne fin, comme dans tout bon Kore-Eda. Oui mais … Le mystère plutôt bien entretenu des deux premiers tiers du film, le procédé de retardement d’une révélation à venir, qui présentent bien des intérêts dramatiques, comportent également leur part de risque, voire de désillusion, pour peu que l’attente – sur le fond comme sur la forme- ainsi créée ne soit parfaitement comblée.
En lieu et place de conforter ou de sublimer la part mystique que les deux premiers tiers subodoraient la troisième partie du film se veut volontiers explicative. Ce que l’on venait, hélas à pressentir, vient soudainement occupé tout l’espace de réflexion (l’écran, la narration). Il ne s’agit plus alors de questionner, mais de répondre aux intrigues, aux causes premières, et de simplifier le potentiel labyrinthe psychologique, lorsque causes et conséquences ne peuvent s’abstraire l’une de l’autre. Ces réponses apportées au premier degré ne laissent plus la place au doute, Kore-Eda livre un message, simple, limpide, mais par voie de conséquence, sans profondeur.
Il révèle l’envers de l’envers du décor jusqu’alors instauré, la faute originelle, sa conséquence directe. Celles-là même qui avaient déjà intéressés d’autres cinéastes, aux sensibilités et approches différentes (Franco avec force, maestria et rage, Dhont avec sincérité, bienveillance et grosses ficelles émotives). Plutôt que d’y voir du brio, l’effet produit s’est, à notre niveau, révéler fort différent de celui escompté. Plutôt que de parvenir à communiquer le pathos, le procédé relativement mécanique nous en a détaché, et l’ingénieuse scène finale ne nous a pas permis d’y raccrocher. Bon à très bon film en soi, L’innocence restera pour nous un Kore-Eda plutôt lambda.