Jacques Audiard revient à Cannes, en sélection officielle avec Dheepan, comme pour presque tous ses films. Cette fois-ci, ne cherchez pas Marion Cotillard ou une quelconque star glamour au casting, Jacques Audiard s’est entouré d’acteurs que pour la plupart vous ne connaissez pas, et ceci présente bien des avantages.
Et puis après tout, il avait confié le rôle de « De rouille et d’os » à notre Marion nationale tout en ayant à l’esprit un personnage à la personnalité masculine, une battante. L’un des avantages que l’on y voit est que les personnages qui sont ainsi créés ne peuvent aisément être associés aux images des acteurs en eux même, ce qui, mine de rien, desservait très largement « De rouille et d’os« . Le second avantage est que la direction d’acteurs n’en est que plus visible. La palette de jeux nouvelle apportée par les petits nouveaux, que ce soit leur énergie, leur envie, ou leurs vérités personnelles constituent un troisième avantage à ce casting, qui n’a nullement empêché Dheepan d’être retenu dans la plus prestigieuse des sélections.
Jacques Audiard nous a habitué ces derniers temps à des histoires débordantes de virilité, de masculinité, peu enclin à développer les nuances, les subtilités, privilégiant une communication non verbale entre les êtres, la grammaire de l’action, appuyant sur le pathos au détriment du monde interne, de ses contradictions, des hésitations, des constructions mentales ambivalentes. Dheepan marque une évolution certaine et très appréciable dans sa première partie, lente, qui expose les personnages, leurs liens entre eux, petit à petit, et surtout qui ose l’optimisme, l’espoir. Il s’agit de personnes victimes des atrocités de la guerre qui sévit au Sri Lanka, qui espèrent démarrer une vie nouvelle en France, et les choses se présentent plutôt positivement malgré toutes les embûches bien évidentes. Audiard fait montre de patience, d’une véritable qualité de narration visuelle également, par des gestes simples, par des images évocatrices, on comprend le déroulement, on imagine la psychologie des personnages sans qu’il n’y ait besoin que cela ne passe par les dialogues. Il fait preuve alors d’une habilité intéressante, que vient compléter un regard sur les protagonistes qui fait la part belle à leurs contradictions, à leurs faces sombres comme positives. Les aspects psychologiques des personnages sont principalement suggérés, et leur passé resurgit dans leur présent.
La trame narrative est linéaire, ce qui pourrait être un défaut, mais conforte l’aspect limpide du récit, permet au spectateur de porter son attention sur des points de détail. Le soin apporté à la photographie participe également à cette simplicité, les lumières permettent de saisissants portraits, les contrastes sont d’une manière générale opportuns. Nulle folie, nulle maestria, mais une maîtrise appréciable que vient colorer certaines images évocatrices et bienvenues, tel cet éléphant Sri Lankais à haute valeur symbolique.
On aurait aimé que notre critique se termine ainsi, sur une bonne note. Mais il eut fallu pour cela que le film poursuive la piste entrevue, conserve la ligne directrice introductive pour mieux l’étoffer, ou au contraire ouvrir les perspectives. En lieu et place, Audiard et ses scénaristes ont préféré tenter le virage action dans un premier temps, pour filer une métaphore simpliste et exagérée, entre la situation de guerre Sril Lankaise et ce qui se passe dans les quartiers chauds. Si des précautions sont au départ prises, ce que l’on eut pu en craindre se traduit sous nos yeux décus, Dheepan devient Terminator. Sur ce beau gâchis, qui certes permet d’éveiller un public jusqu’alors frustré de sa dose de testostérone habituellement distillée dans tout Audiard, nous pensions naïvement qu’Audiard saurait rebondir. Làs la scène finale, se fait le jeu d’une vision propagandiste anti-française que les médias internationaux aiment à donner dés que nos banlieues s’embrasent, ce qui en soit n’est certes pas une totale ineptie – quoi que quelques nuances seraient a minima bienvenues- , mais elle se fait ici au profit d’un cliché qui ferait du modèle d’intégration anglo-saxon un paradis perdu. Ce dernier tiers nous rappelle qu’Audiard aime toujours les histoires très fabriquées, abracadabrantes, surchargées. Dommage, son sujet valait bien mieux !