Fabienne, icône du cinéma, est la mère de Lumir, scénariste à New York. La publication des mémoires de cette grande actrice incite Lumir et sa famille à revenir dans la maison de son enfance. Mais les retrouvailles vont vite tourner à la confrontation : vérités cachées, rancunes inavouées, amours impossibles se révèlent sous le regard médusé des hommes. Fabienne est en plein tournage d’un film de science-fiction où elle incarne la fille âgée d’une mère éternellement jeune. Réalité et fiction se confondent obligeant mère et fille à se retrouver…
Récemment lauréat de la palme d’or, pour un film (une affaire de famille) qui n’est pourtant pas, loin s’en faut, son meilleur, nous attendions Kore-Eda de pied ferme, d’autant que son projet « La vérité« s’annonçait français dans son essence et son casting, puisqu’il réunit ni plus moins que trois des plus iconiques et internationalement reconnues actrices hexagonales: Catherine Deneuve, Juliette Binoche et Ludivine Sagnier.
Parfois, les réalisateurs expatriés, coupés de leur environnement peinent à insuffler une âme particulière à leur film, parce qu’ils ne s’adaptent pas à d’autres façons de travailler, d’autres méthodes de production (ou s’adaptent trop), parce qu’ils y perdent une source d’inspiration, ou parce que ce qui fonctionne ici ne fonctionne pas là. Dernier exemple en date, le très insignifiant Everybody knows d’Asghar Farhadi.
Peut-être ne devions-nous pas trop nous en inquiéter, eut égard au style même du réalisateur japonais, universel dans son approche, fortement inspiré de cinéma européen – quoi qu’il revendique surtout emprunté son style à son métier d’origine, la réalisation pour la télévision- , et qui jamais ne sait réellement construit, appuyé sur l’exotisme du cinéma asiatique (l’époque où l’on imposait aux réalisateurs asiatiques d’avoir un style résolument teinté de l’image d’Epinal de leur pays d’origine est quelque peu révolu). Certes, Kore-Eda n’a eu de cesse dans sa filmographie d’interroger le mode de vie familial, sociétal à la japonaise, mais s’il est parvenu dans son ensemble à en faire ressortir l’intérêt, ce n’est pas tant qu’il en soit lui même imprégné à ne pas savoir s’en détacher, mais bien au contraire, qu’il en a toujours été un observateur distant, curieux, constamment interrogatif. Cette démarche semble d’autant plus transposable au mode de vie européen, ou tout du moins occidental, que le propre du cinéma de Kore-Eda se situe bien plus dans le verbe et le sujet, que dans l’image et l’objet.
De fait, Kore-Eda livre avec La vérité une comédie intelligente, où l’on retrouve quelques uns de ses thèmes de prédilection, la famille, l’enfance, leurs tissus. On y note, ceci dit, des terrains d’expérimentation plutôt nouveaux, que ce soit le ton général, qui lorgne du côté de la comédie sentimentale, avec une Deneuve au sommet de son art, le rapport entre mères et filles, l’introspection sur le métier d’actrice -et le regard porté sur la condition d’actrice-, mais aussi et surtout le fait de tenter un film avec des actrices françaises connues (Deneuve, Sagnier, Binoche symbolisent trois générations d’actrice, et permet de la sorte de raconter une part de l’histoire du cinéma français, dixit Kore-Eda) mais aussi méconnues. Le tout forme un film tout à la fois très souriant, qui traite élégamment ses sujets, et intéresse de tout son long, pour l’une ou l’autre des intrigues semées ici ou là, pour l’une ou l’autre des observations proposées.
Le scénario s’avère particulièrement bien ficelé, et propose à ses acteurs/actrices des partitions variées, nuancées – subtiles, et équilibrées. Deneuve y rayonne en actrice narcissique, mère vacharde mais plus aimante qu’elle ne veut bien le montrer, Binoche, Sagnier, Ethan Hawke composent des personnages spectateurs de ces frasques, nécessairement sensibles voire marqués mais cherchant à composer. Ils portent sur eux leurs propres blessures, mais aussi ont leurs propres doutes, leurs caractères et ego distincts. Si la relation mère-fille est dévorante, elle doit également laisser la place à une vie personnelle, à des interrogations existentielles tierces ou connexes, que le film ne manque pas d’aborder, et que chacun des acteurs/actrices interprètent avec justesse.
Ce film là aurait, comme cela a souvent été dit pour Kore-Eda, pu être signé Truffaut ou d’un réalisateur (français ou non) brillant, qui disposerait d’un sens aigu de la psychologie et de l’observation, là où sa matière se trouve, et son intérêt naît.
Retrouvez notre diaporama de la Vérité lors de sa première à Venise:
A noter également, la sortie récente du livre Quand je tourne mes films aux éditions Atelier Akatombo qui vaut le détour, qui recueille les confidences de Kore-Eda.