Rencontre avec Pio Marmaï, Alice Belaïdi et Léa Fazer à l’occasion de la sortie en salle ce mercredi de Maestro
Au-delà des liens personnels que vous entreteniez avec Jocelyn Quivrin, qui co-signe le scénario avec vous Léa, aviez-vous envie de faire un film sur le cinéma ?
LEA FAZER : Ce n’était la raison première. Mon intention première était le parcours du personnage d’Henri joué par Pio qui s’ouvre, une loupe sur le moment quand dans la vie où on arrive à s’ouvrir à des plaisirs, un peu du second degré, des choses un peu plus complexes, tant dans les sentiments amoureux, que dans l’amitié, et dans un accès à la culture. Comme Henri était un acteur cela permettait de parler du cinéma, et cela était jubilatoire pour moi en tant que réalisatrice de pouvoir parler de ce qui fait notre vie de manière directe, ce qui est extrêmement ludique, pas uniquement, on s’interroge également… On n’a pas connu la Nouvelle Vague, nous sommes trop jeune pour cela, mais le cinéma d’auteur existe cependant, grâce à l’exception culturelle française, cinéma fragile, et mon film a quelque chose d’un manifeste, tout en restant ludique, avec du matériau humain.
Le film a-t-il été dur à monter financièrement ?
LEA FAZER : Très difficile à monter oui. Car « entre deux ». Parce que c’est une comédie… Il peine à rentrer dans les circuits de financement du cinéma d’auteur, et parce qu’il n’est pas assez commercial, de prime abord, il n’est pas très intéressant pour les Majors. Au final, son budget s’élève à un peu plus de 2 millions d’euros.
Pio, Alice, En tant qu’acteur/actrice, avez-vous eu à apprendre à réciter en alexandrin ?
ALICE BELAIDI Je ne suis pas actrice de formation … je prends plaisir à en lire et aller en voir au théâtre mais je n’ai pas été dans des écoles ou pris des cours de comédie, j’ai appris à Avignon sur le tas … C’est un matériau intéressant à travailler, à moderniser. Il me semble que ce film là est aussi là pour ça, mélanger les genres, le commercial, le populaire, les films pop-corn bien potaches que nous aimons avec Pio, et le monde de la culture, celui des alexandrins.
PIO MARMAI Pour ma part, cela était une figure imposée de mon cycle d’apprentissage à l’école nationale de Saint Etienne.
Est-ce compliqué de jouer un comédien ?
PIO MARMAI Oui un peu. Il y a une distanciation notamment quand on tourne une scène où l’on nous dit « coupez » dans la scène que l’on joue, alors que l’on continue de tourner. Je ne me pose jamais de question quand je joue, je ne suis pas très bien placé pour répondre à cette question.
ALICE BELAIDI Comme le disait Léa, on peut faire le parallèle avec qui l’on est, où à des connaissances. Cela est sympathique pour nous, sûrement plus que d’autres rôles qui font moins écho pour nous. On puise dans ce que l’on connait. Quand j’ai lu le scénario, je me suis même demandé si les gens qui ne font pas du cinéma allaient s’intéresser autant que moi, et au vu des réactions du public, il semble que oui. Cela parle à tout le monde, et le cinéma parle à tout le monde.
Parlez-nous un peu de cette scène où Henri arrive sur le tournage, comme sur un tapis roulant …
LEA FAZER C’est un rêve, et surtout une référence à la première scène du Mépris de Jean-Luc Godard, à l’envers. On s’amuse à cela, pour créer le contraste entre le casting humiliant, comme cela est fréquent dans le métier de comédien, et qui renvoie à cette impression que l’on peut avoir quand on recherche un travail, et le rêve que l’on peut avoir du milieu auquel on postule …
Peut être pensiez-vous également à Truffaut ?
LEA FAZER Non, si vous pensez à La nuit américaine sur un thème assez semblable. Truffaut donne sa vision, apprend aux gens comment le cinéma se construit, à une époque où les gens n’étaient pas si informés, n’avaient pas accès au making-of. Au contraire, nous partons du principe que les gens savent aujourd’hui comment se fait un film, on parle d’un cinéma en particulier, et c’est une toile de fond, pas le sujet, presque un décor. Pour revenir sur le contraste, c’est un sujet important, mais l’autre sujet important est la transmission. Entre un film de la franchise Fast and Furious et un film de Marguerite Duras, sans dire que l’un est mieux que l’autre, l’accès n’est pas le même. Il est plus aisé d’apprécier un coca-cola qu’un vin subtil, sauf à avoir accès à la connaissance qui permet d’en apprécier la subtilité. Et le personnage d’Henri a besoin d’un guide pour cela. De mon côté, j’ai la nostalgie d’un certain cinéma mais aussi d’un certain public. Quand on pense à un film comme La Salamandre d’Alain Tanner, à l’époque de la Nouvelle Vague, faisait beaucoup d’entrées. Aujourd’hui le film serait fragile. Michael Lonsdale est ici peut être ce passeur qui peut être nécessaire, un peu un Maitre Yoda. Sans la transmission, on va aller, je pense, vers une société de plus en plus standardisée.
Michael Lonsdale est impressionnant ?
LEA FAZER Oui, c’est un Maestro …
ALICE BELAIDI On n’a rarement la chance de tourner avec un tel monstre du cinéma. Il n’y a qu’à voir sa filmographie, on a de quoi être impressionné. Mais très rapidement il casse cela. Il est d’une très grande simplicité. Il met à l’aise, un peu comme son personnage …
Vous avez pensé à lui dés le départ …
LEA FAZER Oui, évidemment. Il a joué pour Duras, mais il a aussi joué le méchant dans James Bond. Il a une grande ouverture d’esprit, un rapport à la langue à la poésie, et un phrasé qui n’a pas son pareil ! Et il est d’une telle curiosité…
Quelle a été sa réaction quand vous lui avez proposé le rôle …
LEA FAZER Il a tout de suite aimé le rôle. Il m’a étonné, alors que j’avais écrit dans une petite note que le disant que son personnage « kiffait », l’une de ses premières questions a été de me demander ce que voulait dire kiffer.
Et le choix de Pio était-il tout aussi évident ?
LEA FAZER Vous savez, il n’y a que très peu d’acteurs qui ont un spectre de jeu aussi large. Il y a chez Pio quelque chose de puissant, de très masculin, quelque chose de très facétieux, de très joueur, mais il y aussi dans son jeu des instants où il est extrêmement touchant. Pio était évident pour moi.
« Quand on pense à un film comme La Salamandre d’Alain Tanner, à l’époque de la Nouvelle Vague, faisait beaucoup d’entrées. Aujourd’hui le film serait fragile. »
Léa Fazer
Pio, Alice qu’avez-vous pensé des Amours d’Astrée et Céladon d’Eric Rohmer si vous l’avez vu ?
PIO MARMAI : Très bonne question… J’ai vu le film parce que je savais que j’allais tourner Maestro. Je dois vous avouer que la première fois que je l’ai vu, je me suis demandé ce que j’étais en train de regarder et que je n’ai pas pu m’empêcher de rire… Et puis je l’ai revu une deuxième fois, et là je suis beaucoup plus rentré dans le film, et j’ai mieux saisi les intentions, la richesse, je suis entré dans l’univers .
ALICE BELAIDI : Je ferais exactement la même réponse que Pio.
Le régisseur du film que vous montrez est totalement hystérique … Hommage ou moquerie ? Souvenir ?
LEA FAZER Du point de vue de la dramaturgie, le film se développe pour montrer le point de vue d’Henri, sa transformation. Et au départ Henri est moqueur.
ALICE BELAIDI : Il faut dire que c’est souvent la réalité. Il est nécessaire d’avoir quelqu’un qui maîtrise le temps, rameute les troupes, hurle sur les autres. Surtout que les temps de tournage sont très courts. C’est mieux que ce ne soit pas au réalisateur de le faire.
LEA FAZER : C’est comme l’ingénieur du son qui fait sa crise à la fin du film. C’est un grand classique d’un tournage. L’ingénieur du son fait sa crise à un moment ou à un autre.
Les gags du téléphone portable et de la licorne sont ils inspirés du film Les amours d’Astrée et Céladon ?
LEA FAZER : Oui pour le téléphone portable, non pour la licorne, car Eric Rohmer n’avait pas choisi de filmer cette partie du livre, qui fait 10 000 pages. Pour ma part, j’ai choisi un passage que Rohmer n’avait pas retenu. Et j’ai imaginé ce qui aurait pu se passer si Rohmer, avec les moyens qui étaient les siens à l’époque, avait du filmer une licorne … à la façon artisanale.
Alice et Pio, comment s’est passée votre rencontre ?
ALICE BELAIDI On s’est rencontré la première fois il y a un an, un 13 juillet, Pio m’avait invité à son anniversaire. J’arrive un peu en retard. Pio était bien éméché en train de se faire tatouer par un ami tatoueur, comme tous ses amis. Il me dit : « Je suis super content que tu sois là, je viens de me faire tatouer ! ». Je me suis dit : « J’adore ce mec ! On va se régaler »… Et voilà !