Xavier Dolan, dés le départ, a conçu le projet Mommy autour de trois personnages, une mère, un fils et leur amie, qui, par une relation fusionnelle, ne forment qu’un. Alors qu’il avait la possibilité de tourner ce film en Amérique, Xavier Dolan a préféré encrer son histoire dans un paysage qui lui est familier, au Québec, dans un quartier qu’il connaît et s’entourer de gens dont il a toute confiance. Au casting, on retrouve donc des habitués du cinéma de Xavier Dolan : Anne Dorval fidèle parmi les fidèles (La mère dans J’ai tué ma mère et Les amours imaginaires, Laurence Anyways), Suzanne Clément (J‘ai tué ma mère, Laurence Anyways) mais aussi Antoine-Olivier Pilon(clip de College Boy d’Indochine).
Les trois personnages principaux crèvent l’écran carré. Car Xavier Dolan a opté pour un format d’image peu standard, qu’il avait essayé avec son directeur de la photographie pour le clip d’Indochine et qu’il voulait tenter pour un film, pour recentrer le sujet sur les personnages principaux, quand un format plus large met nécessairement les personnages dans un contexte qui comprend un fond qui peut raconter une autre histoire, ici Mommy est l’histoire de ces trois personnages, ne nous-y trompons pas !
Xavier Dolan propose un film, comme ce fut déjà le cas avec Laurence Anyways, volubile, où les dialogues sont très importants, où le langage est essentiel. Lors de la présentation du film à Cannes Xavier Dolan a plaisanté en conférence de presse en disant qu’il était pour son cas très loin de l’Adieu au langage de Godard. Et le langage Québecois, fait de français ancien, d’anglicisme, d’ injures plus imagées les unes que les autres, quand il est pensé par Xavier Dolan, et énoncé par Anne Dorval ou Antoine-Olivier Pilon déroute, malmène, jaillit et fait mouche.
Xavier Dolan ne se contente pas de réaliser un film. Comme il le dit lui même, tous les aspect du film sont dans sa tête (montage, sous-titre, costumes, bande-originale), inspirés par des livres photos plus que par des films. Il est plus simple pour Dolan de faire ce dont il se sent la capacité, même si des collaborateurs pourraient techniquement mieux le faire. Multiplier les casquettes n’est pas une question d’égo ou d’incapacité à déléguer, il n’y a qu’à s’en référer à la complicité entre le jeune réalisateur et Anne Dorval, laquelle affirme apprécier l’intelligence des réalisateurs à l’écoute, pour se convaincre du contraire.
Tous deux ont imaginé ensemble le personnage de Mommy (la mère), ils l’ont habillée au sens figuré comme au sens propre – Xavier Dolan figure au générique en tant que concepteur des costumes. Pour les tenues très bling-bling façon J.Lo qu’Anne Dorval porte, Dolan s’est inspiré des tenues que les femmes portaient dans le quartier où il habitait, petit -c’est à dire à la fin des années 90 et dans les années 2000, l’auteur n’ayant que 25 ans. Anne Dorval est d’ailleurs méconnaissable (et c’était le but de Dolan) : adolescente attardée, bombe sexuelle à la fois sophistiquée et vulgaire, jugés sur des talons, cheveux longs semi blonds, moulée dans des vêtements plus scintillants les uns que les autres, à cent mille lieues des austères m(é)mères qu’elle avait déjà incarnées pour X.D.
Les ingrédients qui font de Mommy un très bon film ne manquent pas : un trio d’acteur excellent, une grande virtuosité visuelle façon clip (mais qui vient ici réellement au service d’un propos), un montage brillant, une scène finale très belle, des dialogues bien travaillés, mais aussi une construction du film particulière. Sans parler d’un twist au niveau de la forme que nous tairons mais qui a engendré de vifs applaudissements dans la salle.
Nous tenons également à mettre en avant que Xavier Dolan s’affirme chaque film un peu plus, qu’il parvient à gommer ses défauts de jeunesse, là où il parlait de lui, là où il se faisait plaisir à grand renfort de références, Dolan ajoute désormais un fond, travaillé, épais, une trame narrative et émotionnelle. Son cinéma clinquant sert alors le propos et non l’inverse. Il le reconnait lui-même, en élève appliqué et curieux. Peut être est-ce le seul signe de jeunesse qu’il lui reste, une forme d’humilité vis à vis de référents, une envie évidente d’apprendre et non de donner la leçon, lui qui avoue ne pas se sentir jeune, pense pouvoir mourir demain, et qui fait des films parce qu’il les a en lui, façon drogue dure et non pour toute autre raison.
Quand on lui demande qu’elles sont ses références, ses modèles, Xavier Dolan est content de pouvoir affirmer que les références qu’on lui suppose ne sont pas tellement les siennes, qui sont principalement américaines. Ses modèles, ses inspirations sont multiples, des livres de photos le guident par exemple. S’il faut chercher des modèles, alors Il faut plutôt aller chercher du côté de James Cameron et tout particulièrement Titanic, de Gus Van Sant , et de P. T. Anderson, dont il vante la capacité à amener les acteurs plus loin qu’espéré.
Pour ceux qui qui s’interrogent pourquoi Xavier Dolan semble toujours parler de la figure de la mère, sachez qu’en conférence de presse à Cannes, légèrement intimidé, drôle, prolixe et adorable tout à la fois, Xavier Dolan a notamment glissé qu’il n’avait pas vraiment bien connu son père. Probablement cela lui vaut-il cette fascination pour la figure de la mère, que ce soit la sienne (J’ai tué ma mère), ou une mère diamétralement opposée comme le personnage joué par Anne Dorval dans Mommy.