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Le Sauvage – (Re)prise

Profitant de la sortie de Belles Familles, Le Mag Cinéma a voulu se pencher sur l’un des classiques de la filmographie de Jean-Paul Rappeneau. Le Sauvage (1975) est à la fois un drame (individuel) et une comédie (collective), une romance légère et une réflexion profonde sur la société moderne. Propice aux rebondissements et aux rencontres insolites, le film se déploie à travers un rythme soutenu et une tonalité allègre. Deux traits, de style et d’esprit, qui font la qualité de ce cinéaste dont la sortie de chaque film, par la rareté de l’évènement, constitue une surprise.

Un drame insulaire

Réfugié sur une île du Venezuela, Martin (Yves Montand) se rêve Robinson Crusoé des temps modernes. Calme et sérénité, voilà ce que désire Nelly (Catherine Deneuve), qui cherche à fuir un mari un peu trop collant. La situation ne pouvait être qu’explosive. Le scénario du Sauvage, coécrit par Élisabeth Rappeneau, Jean-Loup Dabadie et Jean-Paul Rappeneau, raconte la rencontre de deux solitudes. Sans morosité ni mélancolie, le film aspire à l’ailleurs et à l’exil. L’île fantasmatique impose une nouvelle condition d’existence qui ne sera, in fine, qu’une étape vers la possibilité d’un avenir à deux. Le mouvement incessant et son arrêt, sans cesse repoussé, régulent la structure du film. Constamment sous tension, celle-ci accueille à la fois le rire et l’angoisse sourde.

Comment ne pas sourire devant les péripéties de Nelly et les réactions déceptives de Martin, bien embêté de se voir ainsi embarqué dans le tumulte d’une relation (extra-)conjugale ? Mais comment ne pas s’inquiéter lorsque Yves Montand, déporté de son paradis tropical, se fige dans un regard résigné, empreint d’un tragique que partagent tous les condamnés ? Spectateurs et personnages ressentent la même ambivalence, le dénouement, départs ou arrivées, ne cessant d’être reporté.

Les espaces de la comédie

Le plan est saturé. La caméra se meut difficilement, cherche à se frayer un passage à l’intérieur d’un amas de corps porteurs de dynamiques opposées. Puis, par le miracle de la focale, le cadre s’agrandit pour laisser apparaitre un espace non moins abscons que sa version réduite. Rappeneau et son chef-opérateur Pierre Lhomme, use souvent de ce dispositif faisant passer le regard du particulier au général, du détail à l’ensemble. Loin d’éclairer la situation, le zoom arrière expose le caractère profondément anarchique de l’espace comique. À ce jeu de passe-passe, le son n’est pas en reste. On crie, on pleure, on s’esclaffe, la culture et les langues (anglais, espagnol, italien, français) se croisent et s’entremêlent. Ce qui au fond sourde derrière le brio scénographique du Sauvage, c’est le choc des civilisations, du primaire et du culturel, de l’archaïque et du moderne ; la rupture toujours sensible des cadres spatio-temporels.

Tout comme les grands maîtres de la comédie italienne, Rappeneau a bien saisi le discours critique dont est porteur tout argument comique. Le jeu des corps harassés ne peut prendre fin que dans l’exagération d’une prise démultipliée. Ici comme là-bas, le mouvement ne cesse jamais de (re)commencer.

 

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