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Viens je t’emmène, retour à la comédie pour Alain Guiraudie

A Clermont-Ferrand, Médéric tombe amoureux d’Isadora, une prostituée de 50 ans, mais elle est mariée. Alors que le centre-ville est le théâtre d’une attaque terroriste, Selim, un jeune sans-abri se réfugie dans l’immeuble de Médéric provoquant une paranoïa collective. Tout se complique dans la vie de Médéric, tiraillé entre son empathie pour Sélim et son désir de vivre une liaison avec Isadora.

Avec Viens je t’emmène, Alain Guiraudie revient à ses premiers amours, la comédie. En effet, si le réalisateur a obtenu ses lettres de noblesse grâce aux sélections aux festivals de Cannes de ses deux premiers longs métrages (et à un accueil critique dans l’ensemble très bon) L’inconnu du Lac, un thriller érotique gay, puis de Rester Vertical, que nous avions beaucoup plus encore apprécié, il s’était avant cela remarqué comme un jeune cinéaste (quoi que sur le tard) à suivre, pour ses courts métrages plutôt déjantés et déroutants, aux inspirations très diverses, et aux transformations pittoresque (on peut dire qu’il a inventé le western cévenol par exemple, et le Far Sud Ouest).

Il revient donc sur nos écrans avec Viens je t’emmène, un film dont il peine à expliquer le titre. Il n’a rien trouvé de mieux nous dit-il, signalant là que le titre n »était pas son intention principale. Car si le ton s’affirme très rapidement, et de manière totalement assumée sarcastisque, comique, parfois à la limite de l’absurde ou de la caricature, il n’en reste pas moins que Viens je t’emmène, se veut (et nous vous confirmons que le résultat le confirme), surtout un film politique. Un film politique qui mèle et entrecroise les genres. Tout d’abord, Guiraudie souhaitait quitter les beaux espaces extérieurs, pour placer son récit dans une chambre d’hôtel plutôt miteux d’une ville moyenne de Province qu’il apprécie, loin de la hype parisienne, avec un temps qui n’appartient qu’à elle, Clermont Ferrand. L’intention qui se cache derrière ce choix de décors trouve probablement écho dans le nom qu’il choisit de donner à cet hotel: Hôtel de France. Il s’agit bien pour lui de nous parler d’une France à la fois d’aujourd’hui et d’hier, une France arrêtée, par certains aspects provinciaux, mais aussi une France en profonde transformation, notamment dans ses idéaux, et valeurs, le tout marqué par l’actualité.

C’est donc ainsi que viennent à se greffer à la comédie (anti) romantique des thèmes aussi divers que le terrorisme, le jogging, le vivre ensemble, le regard porté sur les autres, sur l’homosexualité, sur l’immigration et l’intégration, la numérisation de la société (et la prolifération des termes marketing, la place prise par les techniques informatiques dans les compétences professionnels), mais aussi la prostitution. Guiraudie de manière totalement assumé d’un côté (et beaucoup moins d’un autre en ce qu’il opte pour la comédie) tient à nous partager sa vision, son regard dans l’ensemble critique sur une société française qui vit retranchée sur elle même, angoissée, qui a oublié ses valeurs de fraternité, et qui fait la part belle au jugement de tout ce qui est différent. Guiraudie clairement cherche à s’attaquer à des fléaux, et en cela, à suggérer que d’autres aspérités sont autrement plus méritoires, à rechercher dans des valeurs oubliées ou perdues. Nul hasard donc à ce qu’il cherche à rendre honneur à des oubliés du cinéma. Sa belle de jour n’est pas Catherine Deneuve, mais Noémie Lvovsky, dont il met en valeur les courbes sans lubricité (au contraire d’un Ruth Meyer ou même d’un Fellini par exemple) mais toujours avec cette forme d’immédiateté et cette impulsivité que l’on remarquait déjà dans sa façon de filmer les ébats amoureux gays dans ses précédents films.

Ce personnage central et au final rassembleur, éclipse totalement le personnage auquel en général la comédie romantique fait la part belle, i.e. la jeune et jolie sur laquelle d’ordinaire se concentrent les regards (ici dévolue à une très anecdotique Doria Tillier), autant qu’il accapare l’esprit de notre héros principal, dans la veine des anti-héros apparus avec le jeune cinéma français du début des années 2010 (on songe aux incarnations de Vincent Macaigne pour Sebastien Betbeder par exemple).

Ce duo d’acteurs fonctionne à pleins pour rythmer le récit, leurs atypicité, la relative étrangeté (nous ne parlons que d’amour) de leur relation l’un à l’autre, leurs maladresses respectives, viennent en effet en parfait décor du récit plus dramatique qui pourrait se nouer par ailleurs, sur fond de terrorisme et de radicalisation des différences, qui donnent à Guiraudie un tout autre terrain de jeu, celui non pas du thriller politique, mais bien celui sociologique, qui interroge les comportements des uns vis à vis des autres.

Toujours dans le cinéma fusion, transgenre, cherchant à filmer ce qui ne l’a pas forcément déjà été, et à brouiller les codes, Viens je t’emmène, continue de filer quelque part la même oeuvre déjà commencé avec ses deux premiers longs métrage. Si la comédie produit quelques effets contraires (désintensification du propos politique, apparente superficialité voire naïveté) plus qu’elle ne nous emporte, Viens je t’emmène reste une proposition suffisamment libre pour mériter qu’on s’y attarde.

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