Avec un large casting francophone, une ambition narrative certaine, un budget (estimé à 17 M€) et une durée de tournage (45 jours) confortables, Un peuple et son roi cumule nombre d’attributs le portant candidat au « titre » de meilleur film français de l’année. D’autant que ce troisième long-métrage de fiction pour le cinéma de Pierre Schœller a pour aîné un autre long-métrage politique, l’excellent Exercice de l’état (2011). Mais une première zone d’ombre avait été posée sur Un peuple et son roi suite à sa non sélection par les organisateurs du festival de Cannes. Le film avait été à demi repêché par sa sélection en hors compétition à la Mostra de Venise. Étaient-ce deux signes de mauvais présage ?
En 1789, un peuple est entré en révolution. Écoutons-le. Il a des choses à nous dire. Un peuple et son roi croise les destins d’hommes et de femmes du peuple, et de figures historiques. Leur lieu de rencontre est la toute jeune Assemblée nationale. Au cœur de l’histoire, il y a le sort du Roi et le surgissement de la République…
Un peuple et son roi est le fruit d’un projet mené de très longue haleine par Pierre Schœller. Au démarrage du tournage en juin 2017, le cinéaste évoquait un diptyque ambitieux couvrant la Révolution française depuis la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen le 26 août 1789 jusqu’à la création six ans plus tard de la Constitution. La fresque historique attendue en deux parties arrive sur nos écrans sous la forme d’un unique long-métrage. Et, si le récit démarre bien au mitan de l’an 1789 (prise de la Bastille le 14 juillet), il s’arrête net comme guillotiné… par l’exécution de Louis XVI le 21 janvier 1793.
Mais traiter quatre années parmi les plus tumultueuses de l’Histoire de France en seulement deux heures relève de la gageure. Au fil d’un récit suivant strictement la chronologie des évènements, Schœller échoue à gommer l’aspect séquentiel d’une narration morcelée et forcément très elliptique. Un peuple et son roi est un film à épisodes qui mêle la petite histoire (le quotidien d’un peuple anonyme) dans la grande histoire (la tenue des États généraux, la fusillade du Champ-de-Mars, l’exécution de Louis XVI) sans rendre compte de la complexité des évènements.
Nous retrouvons cette dichotomie dans le titre du film qu’il faut prendre au pied de la lettre. Il y a bien une séparation, une rupture grandissante entre un roi qui vacille (Laurent Lafitte, froid et monolithique) et un « bon peuple » interprété par un casting royal qui finit par desservir Un peuple et son roi. En effet, faire incarner les « gens de peu » par des comédiens connus favorise le côté artificiel d’un film choral dont aucune figure singulière n’émerge. La faute en revient à la mise en scène d’un trop grand nombre de personnages contraints par leur défilé à des apparitions trop sporadiques pour être attachantes. Une certaine caractérisation est cependant décelable parmi les hommes de pouvoir, représentants de ce peuple, du moins chez ceux incarnés avec conviction notamment chez Denis Lavant prêtant ses traits à Marat.
Malgré tout Schœller varie ses angles de vue et, par une mise en scène baroque, ne livre ni une fresque passéiste ni une reconstitution scolaire de la Révolution française. Le cinéaste donne d’abord à voir la révolte d’un peuple anonyme (femmes comprises) qui sera la source du délitement des relations entre un pouvoir et ses administrés. Puis, l’émergence de groupes vient en prélude des divisions constatées parmi les députés siégeant à l’Assemblé nationale et réunis à la Convention. Le même désir de variété anime le cinéaste dans son filmage des lieux : le faubourg Saint-Martin, Versailles, les Tuileries, le Champ-de-Mars, l’Assemblée nationale, etc. Enfin, nous devons reconnaître aussi que la partie fictionnelle du film ne verse pas trop dans le mélodrame et ne phagocyte pas le récit historique voulu.
Comme nombre de ses prédécesseurs, Schœller n’est pas parvenu à réaliser le grand film tant attendu sur La Révolution française. Rendre compte de l’une des périodes les plus passionnantes de l’Histoire de France en l’espace de deux heures relève d’une trop grande ambition narrative. Cette contrainte temps ne pouvait que déboucher sur un survol de thématiques qui méritaient d’être approfondies : contextualisation des revendications, recours à la violence, procédures des débats publics, rôles des tenants du pouvoir, genèse et légitimité de la loi, etc. Le projet initial de réaliser un diptyque était certainement plus approprié. Mais, même si le réalisateur laisse maladroitement planer le doute, il n’y aura pas de deuxième volet à Un peuple et son roi. L’affaire semble bel et bien tranchée, aucun cinéaste n’est souverain.