Lors de l’édition 2019 du Festival de Berlin, Talking about trees a remporté deux prix : celui du meilleur documentaire et celui du public. Cette première réalisation pour le cinéma de Suhaib Gasmelbari ne manque pas de charme. Le cinéaste soudanais quarantenaire met en scène quatre autres cinéastes également soudanais mais appartenant à la génération précédente. Ce quatuor d’amis parcourt le pays en van et projette d’organiser une vraie projection à Khartoum, capitale d’un pays dont l’industrie cinématographique est moribonde depuis de trop nombreuses années.
Ibrahim, Suleiman, Manar et Altayeb, cinéastes facétieux et idéalistes, sillonnent dans un van les routes du Soudan pour projeter des films en évitant la censure du pouvoir. Ces quatre amis de toujours se mettent à rêver d’organiser une grande projection publique dans la capitale Khartoum et de rénover une salle de cinéma à l’abandon. Son nom ? La Révolution…
Aujourd’hui, le cinéma soudanais n’est plus qu’un lointain souvenir depuis de nombreuses années et notamment depuis l’accession au pouvoir d’Omar el-Bechir en 1989. La production cinématographique du Soudan est anémique. Récemment, outre ce documentaire, il nous a été donné de voir Tu mourras à 20 ans (Ainsi soit je) d’Amjad Abu Alala, cinéaste d’origine soudanaise vivant à Dubaï. Voilà qui est bien peu pour un pays dont la grande Histoire devrait être à elle seule un vaste champ des possibles.
Suhaib Gasmelbari tire le titre de son documentaire du poème À ceux qui viendront après nous (1939) de Bertolt Brecht :
[…] Que sont donc ces temps, où
Parler des arbres [Talking about trees] est presque un crime
Puisque c’est faire silence sur tant de forfaits ? […]
Quatre-vingts ans après les écrits de l’homme de littérature allemand, les temps n’ont guère changé. Le choix de ce titre porte un message d’une modestie confondante devenue rare. A quoi bon parler de cinéma là où il n’existe quasiment plus ? Que représente (encore) le 7ème art dans ce pays martyrisé qu’est le Soudan où tant de faits dramatiques seront à révéler ? Le sous-texte de Talking about trees est éminemment politique sans que ce documentaire n’ambitionne de contextualiser la situation politique du Soudan.
Ainsi, pour mener à bien leur projet de projection publique, Ibrahim Shaddad, Suleiman Ibrahim, Manar Al-Hilo et Eltayeb Mahdi, fondateurs du Sudanese Film Group, vont devoir surmonter de nombreux obstacles. Il y a notamment la censure imposée par les instances gouvernementales qui ont ordonné en 1989 la fermeture de tous les cinémas du pays pour raison politique et ont supprimé toute aide à l’industrie cinématographique. Les cinémas n’ont pas été détruits. Leurs bâtiments d’accueil aux façades décrépites existent toujours. Les lieux sont abandonnés et couverts de poussières et de sable. Nos quatre cinéastes formés à leur art à l’étranger sont voués à devenir les hommes à tout faire d’un cinéma local où tout est à refaire.
Pour conjurer le sort, Talking about trees invoque le cinéma soudanais passé. Il nous dévoile ainsi quelques bribes de films réalisés par nos quatre compagnons de route tel Hunting party (1964) de Shaddad, The station (1989) de Mahdi. Aujourd’hui le Soudan vit sous sa troisième dictature. Les précédentes ont toutes été suivies par une période de démocratie. L’espoir d’un renouveau du Soudan subsiste donc et avec lui, une renaissance du cinéma soudanais.
N.B. : depuis le tournage de ce documentaire, le régime dictatorial d’Omar el-Bechir (réélu pour cinq ans en 2015 avec plus de 94% des suffrages exprimés…) a été renversé le 11 avril dernier. Le Soudan est désormais gouverné par un régime militaire de transition jusqu’à la tenue de nouvelles élections programmées en 2021. Voilà qui sonne, du moins nous l’espérons, l’amorce possible de la renaissance du cinéma soudanais.