En prolongement de Une séparation d’Asghar Farhadi, Ida Panahandeh dresse le portrait intimiste et digne d’une femme iranienne. Sans jugement ni militantisme, la cinéaste interroge la condition des femmes en Iran. Nahid, film politique et de société, brille par son caractère, fort et authentique.
Nahid, jeune divorcée, vit seule avec son fils de 10 ans dans une petite ville au bord de la mer Caspienne. Selon la tradition iranienne, la garde de l’enfant revient au père mais ce dernier a accepté de la céder à son ex femme à condition qu’elle ne se remarie pas. La rencontre de Nahid avec un nouvel homme qui l’aime passionnément et veut l’épouser va bouleverser sa vie de femme et de mère.
Difficile de ne pas matérialiser une certaine filiation entre Nahid d’une part et Une séparation d’Asghar Farhadi d’autre part. Les deux films partagent la même nationalité et un sujet commun, la condition conjugale des femmes iraniennes. En campant le rôle-titre, Sareh Bayat représente un autre point d’ancrage entre les deux fictions puisqu’elle incarnait Razieh dans le long métrage du cinéaste iranien, interprétation récompensée de l’Ours d’Argent de la meilleure actrice en 2011.
Pour autant, le premier long métrage d’Ida Panahandeh n’est pas une nouvelle version de Une séparation mais plutôt son prolongement. A l’instance de divorce qu’annonçait le titre de son aîné répond un divorce consommé pour Nahid. Là où Razieh se montrait passive, Nahid s’affiche farouchement volontaire pour conserver son indépendance.
Par son titre, le film promet un portrait féminin, celui d’une femme iranienne moderne dans une société non émancipée de la totalité de ses archaïsmes. Ainsi, l’intrigue s’articule autour du sigheh que la réalisatrice nous décrit comme un mariage temporaire renouvelable et d’une durée variable. Légal, car inscrit dans la loi de l’islam chiite, le sigheh est utilisé par les femmes divorcées qui souhaitent se remarier sans perdre la garde de leurs enfants nés de leur précédent lit. Il institue de fait la polygamie masculine et les femmes qui y recourent sont très mal perçues par une majorité des Iraniens. La vie commune qui en découle doit rester secrète ou prendre les apparences d’un mariage définitif afin de préserver la réputation de la famille de l’épouse. La réalisatrice complète sa trame narrative par la description des difficultés, notamment financières, des familles matriarcales, mobile plus universel que le sigheh précité.
Ida Panahandeh dépeint les mœurs et les pressions tant familiales que sociales qui ont cours en Iran et leurs conséquences sur la condition des femmes iraniennes. En creux, la jeune cinéaste met en avant la lutte des mères pour leur indépendance, dans une société éminemment masculine en particulier dans ses strates décisionnelles. Le questionnement développé nous paraît plus intime et plus féminin, donc plus authentique, que celui qui nous avait été proposé par Asghar Farhadi.
Dans la lignée de Une séparation, porté par une intrique moins complexe et moins foisonnante, Nahid nous a convaincu dans l’analyse développée. Au regard scrutateur de l’entourage des protagonistes, Ida Panahandeh a su ajouter l’acuité de son propre regard sans jugement ni militantisme. Derrière sa caméra et coscénariste du film, l’auteure fait preuve de subtilité et déjoue les clichés qui menaçaient son projet.
Le Prix de l’Avenir obtenu au festival de Cannes 2015 (section Un Certain Regard) nous paraît nullement galvaudé. Il vient récompenser un projet cinématographique à valeur politique d’autant plus remarquable qu’il a été réalisé par une des rares réalisatrices iraniennes œuvrant dans son pays natal. Ida Panahandeh, cinéaste prometteuse dont nous ne manquerons pas de suivre les prochaines réalisations.