Thomas a 22 ans. Pour sortir de la dépendance, il rejoint une communauté isolée dans la montagne tenue par d’anciens drogués qui se soignent par la prière. Il va y découvrir l’amitié, la règle, le travail, l’amour et la foi…
Cédric Kahn continue d’explorer, de questionner des chemins de vie possibles. Il s’est ici entouré d’un casting taillé pour la Berlinale, auquel il concourre en compétition, puisque l’on y retrouve des acteurs germanophones: Alex Brendemühl – acteur espagnol vu récemment dans Mal de Pierres , également à l’affiche de Transit, Hanna Schygulla, actrice germano-polonaise, égérie de Fassbinder, qui tourna aussi pour Wenders, Godard, Scola, Kolek ou Ferreri, récemment vue dans Fortunata, Faust-, entourés de quelques acteurs français très en vogue Anthony Bajon – très remarqué dans Les Ogres, Damien Chapelle – Espèces menacées, Marie et les naufragés, Planetarium, Bande de filles –, Louise Grinberg – 17 filles, enre les murs, tour de france…
Le projet est particulièrement ambitieux, en ce qu’il est très difficile de trouver un sujet qui puisse directement s’en rapprocher, mais aussi en ce qu’il nécessite des précautions et une finesse d’écriture pour rester haletant, mais surtout intelligent.
La réflexion portée nous semble inédite au grand écran: interroger l’addictivité de la transcendance. Plus précisément, le récit mettra sur un pied d’égalité deux moyens d’y parvenir,la prière et la foi d’un côté, le trip lié qui suit la consommation de drogues de l’autre.
L’ avis de Cédric Kahn sur la question- et de ses scénaristes probablement- est affirmé, il peut sembler très arrêté : les deux transcendances sont résolument critiquées, montrées comme étant des enfermements à éviter.
Il ressort également, malheureusement, et malgré une phase de documentation sur les deux sujets réelle, une certaine méconnaissance, en tout cas des raccourcis qui auraient pu être évités si le film avait pris plus de temps.
L’exercice fait ceci-dit ressortir plusieurs très bons points. Le premier survient par effet miroir, Cédric Kahn nous en dit probablement plus sur lui même qu’il ne le concoît; notamment la fascination qu’exerce sur lui le sujet trouve nécessairement ses racines en lui, en sa nature, que Damien Chapelle nous avouera être forte, corporelle, et puissante. En ne trichant pas, en n’édulcorant pas, et en n’évitant pas la critique, Kahn peut intriguer, déranger, et certains y ont vu un film particulièrement courageux à Berlin.
Le sujet s’éloignant des sentiers battus, Cédric Kahn, ses scénaristes, son directeur de la photographie, ont du frayer leur propre chemin, convoquer des symboles qui se détachent de la simple grâce, du simple courage. Il s’agit bien au contraire de suggérer le doute, la friabilité, le rapprochement entre des façons de vivre qui par manichéisme peuvent être parfois assimilés au Bien ou au Mal – quand Kahn, disions nous, y voit deux Mal presque absolu, sans véritable nuance.
Et sur cet aspect des choses, la grammaire utilisée nous est apparue particulièrement intéressante. Que ce soit le mix improbable entre de la musique « techos » ou des airs d’opéra très lithurgiques, que ce soit les éclairages, la géographie des paysages, les paraboles employées nous ont plu.
Le troisième bon point que l’on tient à mettre en évidence, est l’intérêt même de porter à l’écran cette réflexion sur la fragilité d’un destin, sur l’équilibre qui peut à tout instant basculer dans un sens ou dans l’autre.
Ceci étant dit, La prière souffre également à nos yeux de quelques défauts. Parfois, on note une certaine légèreté prévu dans le scénario ou dans la mise en scène comme certaines prises de distances : des moqueries – non dérangeantes en soi, sauf à être trop sensible, radical sur le caractère sacré de la foi- de la religion produisent un contre effet quant à la tension psychologique. Ainsi aussi de certains instants trop appuyés dans le jeu ou la dramaturgie (souffrances, cris, crises mais aussi évènements abruptes), ainsi enfin du rendu d’une scène miraculeuse , que l’on a jugé médiocre.
Certains confrères journalistes ont beaucoup aimé le film pour des raisons qui nous semblent à l’antipode de l’intention du projet, sur le terrain de l’interrogation quant à la foi : non, #lapriere ce n’est sûrement pas Des hommes et des Dieux, ce n’est pas non plus Sous le soleil de Satan ou Hadejwisch !
Pour notre part, La Prière nous a plutôt frustré. Car Cédric Kahn tenait là l’occasion de franchir un palier, de pouvoir fédérer, affirmer toute la force de son cinéma, et se rapprocher d’un chef d’oeuvre, en tout cas d’un film référence, mais, et de façon presque paradoxale, un ingrédient essentiel manque: une plus grande conviction. Nous aurions aimé que Cédric Kahn lui même soit dans le doute, qu’il opére consciemment ou non un glissement vers l’insondable, c’est à dire des vérités peut être plus multiples encore – quoi qu’il s’agisse là d’un des grands points forts du film, il maintient plusieurs lectures possibles, en tout cas, il maintient en vie tout le long du récit, trois chemins possibles, et probablement trois destins liés.
Cédric Kahn reste finalement loin de ce qui aurait pu être son sujet, l’infini et la peur du vide, les angoisses, le vertige et la fascination qu’ils procurent. Cela n’empêche nullement La prière d’être bon voire très bon, mais nous vous aurons prévenu, il lui manque un encrage pour pouvoir être à Kahn ce que Sous le soleil de Satan était à Pialat, une profession profonde.