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Blue Ruin-Variation chromatique

À quoi se rapporte la couleur promise par Blue Ruin, film scénarisé, photographié et mis en scène par Jeremy Saulnier ? Le bleu renvoi d’abord à la couleur d’un vêtement, d’une voiture ou d’un mur, détails factuels qui accompagneront le périple de Dwight (Macon Blair), héros solitaire parti venger la mort de ses parents. Mais le bleu est aussi un symbole aux multiples facettes, un élément esthétique et sensible. Sélectionné à la « Quinzaine des réalisateurs » du Festival de Cannes et honoré du prix FIPRESCI par la critique, Blue Ruin figure une palettes de sens… et de couleur(s).

Filmer le temps

Placé à la bordure du champ ou au centre d’un cadre évidé, Dwight est désespérément seul. Parcourant la plage ou les fêtes foraines à la recherche d’ordures, le héros rejoint son véhicule transformé en maison de fortune. Le bleu connote le calme, la pérennité d’un quotidien sans surprises. Les plans sont longs, souvent fixes, et c’est avec lenteur que la caméra traverse l’espace. L’immobilisme sied à la couleur, offre au cinéaste le temps de composer son plan à la manière d’un peintre ou d’un esthète. L’évènement perturbateur attendu par le spectateur ne modifiera que quelque peu cette esthétique de l’attente. La raison en est simple : qu’il agisse ou non, Dwight ne peut agir contre le passé. L’ironie du sort lui apprendra que son ennemi n’est qu’un fantôme disparu depuis longtemps, loin des menaces et du courroux de la vengeance. À la bordure donc, le héros fait tache, exclu de la société et du mouvement, cloisonné dans un intervalle dont il ne peut échapper.

On pourra reprocher à Saulnier son style maniéré, un soin trop constant apporté à la composition des plans. La maitrise technique de Blue Ruin est voyante, comme le bleu qui soudain apparait dans le coin du cadre pour être ramené en son centre. Signe de la mélancolie, la couleur interrompt la dynamique, achève l’action avant que celle-ci n’ait pu commencer. De consécutif, le temps devient causal, source et matière du mouvement.

Une couleur primaire

Jamais malmenée, la composition amplifie la violence. Symbole de pureté, le bleu est aussi une couleur tellurique, s’offrant de fait au naturalisme ; un chromatisme idéel et naturel, véritable et artificiel, paradoxale donc. L’innocence de Dwight le pousse à tuer, et le bleu progressivement s’assombrit. La nuit tombe, depuis la fenêtre le héros fixe les yeux grands ouverts l’extérieur de la maison, sa lampe torche projetant un faisceau bleuté. Pour échapper à ses assaillants, Dwight devra braquer la lumière contre le sol pour empêcher le bleu de trahir sa présence. La couleur prouve ici sa force dramatique et indicielle. Pourtant nul mouvement, rien qu’un passage sur lequel Saulnier ne s’attardera pas. C’est le fatum qui détermine l’ensemble du film, un récit sans fin ni réel commencement. L’attente toujours, de voir l’horreur s’arrêter, d’apercevoir une lueur qui expliquerait l’absurdité de la situation, la vérité de la couleur. Ni du côté du Bien ni du côté du Mal, le bleu retrouve sa nature primaire pourvoyeuse d’un prisme encore indéfini. Couleur qui refuse le choix du Noir ou du Blanc, préférant l’immuable à l’achèvement.

Des éclairs envahissent le ciel tandis que la tragédie prend fin. Des branches d’arbres jonchent la route et empêchent la circulation, contraignent le mouvement. La lumière du jour fait voir les vestiges du passé, les ruines que la nuit voulait effacer. C’est aussi par la lumière que les couleurs sont rendues visibles ; parmi elle le bleu, imperturbable, se fait alors signe d’immanence. Pensé comme une peinture, Blue Ruin prend la forme d’un cercle marquant un cheminement cyclique et abstrait, dramatiquement abscons mais sensiblement profond.

Retrouvez des photos du réalisateur, un peu seul pour défendre son film à Deauville en 2013:

https://www.youtube.com/watch?v=fRGhnGgnLrg

 

 

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