Roman Polanski a le vent en poupe ces dernières semaines. Oublions pour un instant ses frasques judiciaires et revenons à la matière même de son art. À propos de cinéma donc, les ressorties de ses films en salles se succèdent. Après le terrifiant Rosemary’s Baby dont nous vous avions proposé une analyse, c’est au tour du Bal des vampires (The Fearless Vampire Killers, 1967) de se voir honorer d’une seconde vie (quoi de plus normal pour des vampires nous direz-vous). Troisième long métrage britannique de l’auteur (après Répulsion en 1965 et Cul-de-sac en 1966), Le Bal des vampires semble occuper une place à part dans la filmographie de Polanski. À première vue bien sûr, car un second regard permis par sa ressortie en salles cette semaine prouve que ce bal particulier révèle bien des choses sur la manière du réalisateur.
Parodie réflexive
S’il fallait classer Le Bal des vampires, c’est indéniablement dans le registre de la comédie que le choix s’opérerait. Loin de l’horreur souterraine de Répulsion, Rosemary’s Baby ou du Locataire, Le Bal des vampires tourne en dérision les mythes poussiéreux du fantastique gothique. Canines acérées, lune pleine et ronde, château plongé dans la nuit, belles demoiselles déflorées par la morsure divine, autant de motifs que revisite l’ironie mordante du réalisateur. Acteur, Polanski s’agite, écarquille les yeux, reste bouche ouverte devant le spectacle macabre du Comte von Krolock (Ferdy Mayne). Halluciné, le film repose sur un chromatisme voyant et excentrique. Le spectateur, féru de cinéma d’horreur, reconnaitra ici le charme tout esthétique des productions de la Hammer Film. Au cours des années cinquante et soixante, la célèbre société de production britannique se présenta comme l’antre européen du cinéma d’horreur. De Dracula au monstre de Frankenstein, en passant par la momie ou le loup-garou, la Hammer – digne héritière de la Universal des années trente – relance la mode des monstres issus de la littérature du XIXe siècle. Chez Polanski, le vampire racé ressemble à s’y méprendre au Christopher Lee du Cauchemar de Dracula (Terence Fisher, 1958), tandis que son professeur Abronius (Jack MacGowran) se présente comme la version sénile de l’intrépide Docteur Van Helsing interprété par Peter Cushing. Le parodique permet donc l’articulation des deux éléments symptomatiques du discours de Polanski : l’humour et le cinéma.
Une œuvre polanskienne
Que ce soit sous la forme d’un absurde proche du surréalisme ou d’un grotesque critique, l’humour parcourt l’ensemble de la filmographie de Polanski. Franchement marquée, la tonalité comique du Bal des vampires fait voir ce versant souvent négligé de l’œuvre de l’artiste. En détournant le style de la Hammer, le cinéaste expose ses sources, prouve, par la citation littérale, l’importance des images et de leur histoire. Car au-delà du fantastique, c’est le burlesque qui s’invite au bal des vampires : course-poursuite dans les couloirs d’un donjon, bassin coincé dans le cadre étriqué d’une fenêtre, panorama de gestes et de situations renvoyant au cinéma des premiers temps. Primaire et poétique, la séduction du Bal des vampires tient à la simple combinaison d’images et de couleurs, formule propice aux fantasmes les plus délirants. Voyez comment opère la séduction de la jeune Sarah (Sharon Tate) : gros plan d’un visage fin et gracieux emporté par le roux flamboyant de sa chevelure. Sorte de Gilda prisonnière d’un conte horrifique, la jeune femme prendra la forme d’une Pandore diabolique. La réalité rejoindra la fiction, si l’on repense à la fin tragique que connut l’actrice. Mais respectons notre promesse et refusons-nous à pousser plus loin l’anecdote du fait-divers.
Restons-en alors au bonheur procuré par la beauté singulière et envoûtante de ce magnifique film. Rappelons à nos lecteurs parisiens que depuis le 16 octobre, le théâtre Mogador accueille la nouvelle mouture de la comédie musicale adaptée du film, originellement conçue en 1997 et mise en scène par Roman Polanski lui-même.