Les cinq films traités dans ce compte-rendu ont quelque chose en commun. Tous sont sélectionnés en compétition officielle du FEFFS et partagent une même obsession pour le regard. Tous mettent en scène des personnages partis à la recherche de leur identité, que celle-ci se reflète dans un face à face problématique ou à travers une quête plus introspective. Ces films interrogent le genre qui leur a donné naissance, cherchent à le comprendre, à le prolonger ou à le contre-dire. Certains d’entre-eux trouvent leur place et acquièrent leur indépendance, les autres se perdent et s’oublient à l’intérieur d’un écran débordé de regards manufacturés et serviles.
Honeymoon appartient sans conteste à la première catégorie. Le premier long métrage de Leigh Janiak s’ouvre sur un regard caméra, ou plutôt deux, ceux de Bea (Rose Leslie) et Paul (Harry Treadaway), jeunes mariés fiers d’annoncer leurs vœux. Pour leur lune de miel, les deux amoureux organisent un séjour dans la forêt canadienne. Dans une cabane en bordure de lac leur relation sera mise à dure épreuve, et avec elle l’ensemble des normes maritales et familiales. Délicieusement transgressif, Honeymoon associe l’horreur à l’élément naturel dans un rapport prenant pour objet le corps transformé et substitué. Le film de Leigh Janiak se construit en deux temps à l’image de sa bande-musicale composée par Heather McIntosh passant de l’air pastoral aux basses froides et menaçantes. On songe à la version des Body Snatchers (1978) réalisée par Philip Kaufman, mais si la référence est présente, l’originalité de l’œuvre reste intacte. La jeune réalisatrice fait montre d’une maitrise de la mise en scène qui fait oublier tous les préjugés que l’on pourrait avoir sur les premiers films. D’abord confondus, les regards finissent par se détacher, jusqu’à la mort et l’oubli.
Survival hollandais, The Pool n’échappe pas aux écueils du genre. En mettant en scène les vacances de deux familles parties camper près d’un lac, Chris W. Mitchell reprend sans les modifier les codes et tropes du genre. Soit un cadre naturel, un délitement familial sanglant, une vierge offerte en sacrifice, un petit jeu de massacre prévisible et stérile. À cela s’ajoute un évènement surnaturel traité sans originalité ni style, à la manière d’un téléfilm. Il manque à The Pool un regard de cinéaste capable de renouveler la matière creuse de l’archétype, inutile de s’étendre sur son cas.
C’est une route qui se divise en deux, formant un parallélisme choquant et émouvant. White God, déjà obtenteur du prix « Un Certain Regard » à Cannes, prend la forme d’une fable ou d’un conte. La dénonciation passe en filigrane à travers cette histoire d’amour surnaturelle. En Hongrie, la jeune Lili (remarquable Zsófia Psotta) est obligée de se séparer de Hagen, son chien adoré. La faute de Hagen est d’être un bâtard, un type de chiens que le gouvernement oblige à recenser. Errant dans les rues à la recherche de sa maitresse, Hagen rencontrera la violence et la bêtise des hommes mais aussi la solidarité de ses comparses canins. Lili, elle, n’oublie pas son ami mais doit se résoudre à entrer dans le rang. Hagen doit se battre contre l’adversité, Lili cherche à l’oublier. Pourtant, à la faveur du montage, leurs regards ne cesseront de se croiser. Le réalisateur Kornel Mundruczo passe constamment du mouvement à l’immobilité, de la caméra portée à l’épaule au ralenti épique et pictural. Les images s’inscrivent dans le réel, certes, mais sont transcendées par l’amour de Lili et Hagen. Aussi la photographie de Marcell Rev dédouble sa représentation du monde. Sensible, onirique et glaçant, White God est une réussite. Lili, face à la meute de chiens, apaise la violence en jouant de la trompette. Hagen se couche face à sa maitresse, leurs regards s’enlacent à nouveau. La bête a retrouvé sa belle.
Starry Eyes se présente comme l’exemple-type d’un cinéma postmoderne à ne pas suivre. À l’instar du récent Maps to the Stars (David Cronenberg, 2014), le film de Kevin Kolsch et Dennis Widmyer prend pour sujet Hollywood. Une actrice au chômage (Alexandra Essoe) partage son quotidien entre ses amis, son travail d’appoint, et des castings. Lorsque une société de production lui propose le rôle de sa vie, la jeune femme devra prouver que son ambition est indéfectible. À partir de cette (mince) méta-intrigue, ajouter un soupçon de Mulholland Drive, une pincée de Rosemary’s Baby, un peu de Eyes Wide Shut et une séquence de slaher, touiller le tout et vous obtiendrez un film proprement indigeste. L’ironie des deux réalisateurs – typique de la postmodernité – n’arrange rien, la distance se faisant ici marque d’insuffisance. Symptomatique d’une certaine tendance contemporaine du cinéma d’horreur américain, Starry Eyes déçoit d’autant plus que certaines de ses séquences sont rondement réalisées. La transformation de l’actrice prend la forme d’un dispositif où des flashs lumineux inquiètent l’espace de la narration. La technique rappelle celle employée par Alan J. Pakula dans The Parallax View (1974), la rigueur en moins. Car là où Pakula parvenait à prolonger le motif, Kevin Kolsch et Dennis Widmyer l’oublient vite. Le regard se perd dans un horizon d’images recyclées.
Après Calvaire (2004), Fabrice du Welz présente au FEFFS le second opus de sa trilogie ardennaise. Alleluia s’inspire de l’histoire vraie de Martha Beck et Raymond Fernandez, un couple de criminels américains connus pour avoir assassiné vingt femmes entre 1947 et 1949. La méthode de Martha et Raymond consistait à se faire passer pour frère et sœur afin d’escroquer des femmes seules et désespérées. Déjà adapté au cinéma par Leonard Kastle en 1970, le fait-divers est ici réactualisé et modifié. Comme dans Calvaire, Fabrice du Welz et son directeur de la photographie Manu Dacosse esthétisent au maximum leurs compositions. Surnaturelles, les couleurs expriment les émotions des personnages tandis que la lumière redessine leurs corps et leurs visages pour en révéler les failles et les espoirs. Cauchemar sanglant, Alleluia renvoi à l’univers de la comédie musicale hollywoodienne par sa volonté de déréraliser l’espace. Fabrice du Welz insère d’ailleurs une séquence de chant dans son film qui offre à la brutalité des crimes un contrepoint étrange et magnifique. Car, comme dans White God, c’est l’amour fou qui constitue le principal enjeu du film. Au regard du cinéaste se substitue celui de Gloria (Lola Dueñas) la Bonnie Parker de Michel (Laurent Lucas). Victime absolue de l’amour, Gloria se comporte comme un enfant, trépigne, hurle, s’excuse, pardonne. Mais face à ces magistrales réussites, le film souffre des mêmes défauts que Calvaire. On pourra une fois encore reprocher à Fabrice du Welz un naturalisme excessif tendant vers le grotesque. Tout le monde s’accordera néanmoins à reconnaitre chez le réalisateur un regard sensible et honnête qui saura à coup sûr convaincre le public.