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FEFFS – Entretien avec Leigh Janiak

Leigh Janiak à Strasbourg (2014)

Au cours du Festival Européen du Film Fantastique de Strasbourg, la réalisatrice Leigh Janiak nous a gentiment accordé un entretien pour discuter de Honeymoon, son premier long métrage, sélectionné en compétition internationale. Le sourire aux lèvres, la jeune femme n’a pas hésité à entrer dans les détails de sa création. Assistante de production sur plusieurs longs métrages depuis 2009, Honeymoon lui permet de passer à la réalisation. Ce premier essai prouve le talent de cette jeune réalisatrice à l’avenir plein de promesses.

Honeymoon est votre premier long métrage, vous avez participé à l’écriture du scénario avec Phil Graziadei, pouvez-vous nous parlez de l’origine du film ?

Phil et moi écrivons depuis de nombreuses années des scénarios ensemble et nous avons essayé d’accéder au système hollywoodien, mais à chaque fois nous nous heurtions à des murs. En 2011 j’ai vu les films Monsters (Gareth Edwards, 2010), Tiny Furniture (Lena Dunham, 2010) et d’autres encore qui ont provoqué chez moi un déclic. Je me suis souvenu que si j’étais à Los Angeles, ce n’était pas pour écrire des scénarios sans suite mais pour faire un film. Quand nous avons écrit Honeymoon, nous avons donc décidé qu’on allait le réaliser quoi qu’il arrive. Pour ce film, nous nous sommes intéressés à la notion d’identité, et à quel point on peut connaitre l’autre. Nous avons regardé des films comme The Body Snatchers, nous avions envie de marier ces deux aspects là et d’en faire notre film.

La transformation de l’héroïne nous a en effet rappelé celle de The Body Snatchers, notamment la version réalisée par Philip Kaufman en 1978, était-ce cette version que vous aviez en tête au moment de l’écriture du film ?

Oui, la version de Kaufman est celle qui m’a le plus inspiré, Donald Sutherland est super dedans. Nous avons aussi exploré l’idée du Unheimlich, un concept de Freud qui explique que les choses les plus proches de soi, que l’on connait le plus intimement, peuvent devenir complètement étrangères. Nous avons donc joué avec cette idée qui est aussi présente dans The Body Snatchers.

Honeymoon a-t-il été influencé par d’autres films que The Body Snatchers ? Avez-vous des films de référence ?

Un autre film qui m’a énormément influencé pour Honeymoon est Rosemary’s Baby (Roman Polanski, 1968). Ce que j’aime dans ce film c’est son réalisme avec des personnages très denses, très étoffés, et le fait que l’on suive Rosemary durant tout le film. Rosemary’s Baby est très subtil jusqu’à ce que diable arrive en personne et finisse par mettre l’héroïne enceinte. J’aime l’idée que le démon qui se montre à la fin du film soit réel, que ce ne soit pas un produit de l’imagination. J’aime les films qui font peur mais qui explorent aussi l’identité d’un personnage jusqu’à la fin. J’adore les films gore, les slashers, les films qui font sursauter le spectateur, mais je voulais réaliser un film subtil propice à la paranoïa.

Faire de la lune de miel un cadre horrifique est un choix particulier, pouvez-vous nous l’expliquer ?

Pour moi le sujet du film est l’exploration de la relation entre Paul (Harry Treadaway) et Bea (Rose Leslie), et de montrer comment une relation si intime peut s’effondrer en un instant. Nous pensions que la lune de miel représentait un espace clos, reclus du temps, en dehors de tout, à l’intérieur duquel il n’y a que l’autre qui existe. Ce sont pour ces raisons que la lune de miel nous apparaissait comme un moment intéressant pour développer ces idées.

Dans le cinéma d’horreur, l’Éros et Thanatos sont souvent liés, et fréquemment la mort est punitive, voire rédemptrice, frappant après ou pendant un coït hors-mariage. Dans Honeymoon, c’est l’inverse qui se produit : le rapport sexuel est encadré, institutionnalisé par le mariage, mais l’horreur survient quand même. Peut-on voir dans votre film une critique sous-jacente du mariage, de la famille, ou tout simplement de la norme ?

Je ne pense pas qu’il s’agisse d’une critique du mariage ou de la famille, ou peut-être est-ce inconscient (rires). S’il y a une critique, son objet serait plutôt la notion de certitude face à l’identité. Quand les gens se marient, il y a cette idée que l’on connait quelqu’un par cœur, mais je pense qu’en réalité les gens changent, et c’était cela que nous voulions explorer. Mon film est avant tout une histoire d’amour car tout ce que font Paul et Bea, même si ils ont parfois recours à la violence, est motivé par leur amour.

Dans Honeymoon, l’horreur est liée à l’élément naturel, pouvez-vous nous expliquer ce rapport ?

Je suis contente que vous mentionnez cet aspect là, car nous avons beaucoup discuté et réfléchi avec le production designer et le directeur de la photographie sur la manière de retranscrire ce monde extérieur qui va tout d’un coup s’infiltrer et frapper le monde bien construit et bien ordonné des humains. Nous avons cherché à montrer que les humains pensent qu’ils créent toujours des choses qui sont très sûres, qui ne peuvent pas changer. Nous voulions explorer la façon dont ce monde extérieur se révèle être le maître et déstabilise toutes ces certitudes.

La musique composée par Heather McIntosh est magnifique et accompagne l’évolution de votre film. Comment s’est déroulée votre collaboration ?

J’adore le travail de Heather qui a composé la musique de Compliance (Craig Zobel, 2012), un véritable film d’horreur. Nous avons passé beaucoup de temps à discuter de la façon dont la musique et le son peuvent accompagner le spectateur. J’adore aussi  les compositions de Johnny Greenwood qui instillent quelque chose de perturbant et d’étrange qui accompagne le spectateur sans pour autant lui révéler les informations nécessaires au mystère de l’intrigue.

Du point de vue de la création, le cinéma d’horreur pose de nombreuses questions d’ordre technique. Pour ce premier film, vous faîtes preuve d’une grande maîtrise de la mise en scène. La préparation du tournage a-t-elle été longue ? Combien de temps a duré le tournage ?

Pour un tournage de vingt-quatre jours, il y a eu six semaines de pré-production. J’ai la chance d’être très amie avec Kyle Klutz, le directeur de la photographie du film. Avant la période de pré-production, nous avions le temps de discuter, de travailler ensemble. En tant que cinéaste on passe chaque instant à penser à la réalisation. Pour Honeymoon, la difficulté principale tenait à l’obscurité car nous avons tourné au printemps avec huit heures de nuit. Il fallait maîtriser ce moment avec une équipe de tournage assez réduite. Si j’avais été à Los Angeles avec beaucoup de techniciens, cela aurait été plus facile à réaliser. Nous avons aussi rencontré des difficultés avec le lac : il pleuvait beaucoup, il y avait beaucoup de boue. Les scènes comportant des effets spéciaux n’ont pas été trop difficiles à réaliser, c’est le lac qui constituait la plus grosse difficulté au moment du tournage, mais on l’a fait et on a réussi.

Le casting du film est excellent, Rose Leslie et Harry Treadaway sont tout à fait crédibles dans cette interprétation d’un jeune couple. Comment avez-vous dirigé vos acteurs ? Leur laissiez-vous une marge de liberté ou leur jeu était-il strictement encadré ?

Peu de liberté a été donnée aux acteurs. Nous sommes arrivés quatre jours avant le tournage et avons passé quatre à cinq heures par jour ensemble afin de tisser des liens, de comprendre tous les trois ce que traversent les personnages à toutes les étapes du film. On aimerait pouvoir tourner un film en séquences mais malheureusement ce n’est pas toujours possible. Rose Leslie et Harry Treadaway ont réussi à préserver la continuité du film et à garder l’évolution de leurs personnages en tête malgré un plan de tournage fragmenté. Je ne suis pas partisane de l’improvisation et je crois fermement à l’utilité d’un script bien écrit. Parfois Rose et Harry essayaient de rajouter des petites choses qui leur permettaient de renforcer leur complicité , ça ne me plaisait pas vraiment mais en post-production je fus contente de voir que ces moments renforçaient l’authenticité de leur relation. Ma crainte de l’improvisation est peut-être due au fait qu’il s’agissait de mon premier long métrage. J’aurais aimé donner plus de temps aux acteurs mais nous étions très pris par le temps.

Nous avons été impressionnés par la dernière séquence du film composée de flashs lumineux défigurant le cadre. A-t-elle été écrite à l’avance ou est-ce au moment du montage que vous l’avez réalisée ?

Cette séquence n’a pas été écrite mais fut crée au moment du montage. Dans le scénario, c’était la vidéo du couple qui concluait le film, mais nous avons trouvé que cette fin manquait un peu de rythme et d’énergie. Nous voulions montrer que cette ultime vision du couple enregistré sur vidéo était le seul souvenir de bonheur auquel pouvait s’accrocher Bea. Une autre scène qui n’était pas présente dans le scénario mais que l’on a insérée en post-production est celle où Paul rentre du restaurant et questionne Bea sur son identité à travers une série de plans assez courts.

Préparez-vous un nouveau film ?

Actuellement je ne travaille pas sur un nouveau long métrage mais sur des séries limitées à dix épisodes que j’écris avec Phil Graziadei et qui devraient être réalisées pour le câble. J’espère que lors de mon retour aux États-Unis, de bonnes nouvelles m’attendront pour concrétiser ce projet. Puis, en fonction de ces nouvelles, je compte aussi travailler sur un nouveau long métrage.

 

Nos remerciements à Louise Bouchu pour la traduction.

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