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Le Grand Tour de Miguel Gomes

Rangoon, Birmanie, 1917. Edward, fonctionnaire de l’Empire britannique, s’enfuit le jour où il devait épouser sa fiancée Molly. Déterminée à se marier, Molly part à la recherche d’Edward et suit les traces de son Grand Tour à travers l’Asie.

Avec Grand Tour, pour sa première en sélection, Miguel Gomes s’écarte un temps du temps très long des Milles et une Nuit, pour revenir à un format plus proche de celui de Tabou. Comme il le décrit lui même , son intention première est celle d’un voyage. De proposer un voyage, que lui même aurait effectué. Son Moby Dick, quelque part. Romancé sous forme de traque, le procédé lui permet d’observer et de s’arrêter lors de différentes escales qu’il nous propose, ici ou là, hier ou maintenant. Le processus du Grand Tour (aller d’une ancienne colonie asiatique britannique à une autre) lui permet aussi d’expérimenter des rencontres – et des non rencontres ! – entre différents pays, différents cinémas, à commencer par le sien, et des souvenirs qu’il aurait d’autres cinéastes qui ont raconté ces même territoires. Le procédé permet aussi de flouter légèrement la frontière entre fiction et documentaire, entre passé et présent, Gomes se contentant simplement de filmer au présent, d’appliquer un filtre noir et blanc pour les images fictives, de laisser en couleurs celles propres au rêve de l’homme en fuite – visions d’avenir plutôt critiques dans leur ensemble, et de tourner en studio les scènes d’intérieurs.

Suspendre le temps consiste aussi pour Gomes à s’arrêter sur des bribes, des instants emprunté s à d’autres cinéastes permettant ainsi aux critiques qui en raffolent de noter ici ou là des images et séquences liées à Hsao HsienYang, à Ozu ou à Kurosawa, à Oliveira ou à Ruiz, parmi de nombreux exemples. Les dialogues se jouent eux aussi de ces registres temporels et brouillent, là aussi par toutes petites touches, les repères (du langage ampoulé de l’époque coloniale, à la vulgarité plus acceptée de notre époque, un rire qui s’entend ou un sifflet pour masquer des mots d’insultes monnaie-courante) .

Si le film, dans son volet plus narratif et féminin, devient agréable – sans jamais éblouir – à suivre une fois l’exposition longuette terminée (pédagogique sans vouloir l’être, la qualité des images et le peu de variétés dans les propositions nous font craindre un pur film expérimental qui se joue d’images amateurs ), il pâtit ceci dit de l’effet patchwork qu’il instaure, même si à ce niveau, Gomes s’écarte du clinquant, de l’électrique à la Tarantino par exemple, adepte de convier des références cinéphiles à l’intérieur de ses propres œuvres. Pas plus qu’il n’opte, à l’instar d’Honoré pour un parcours balisé, surligné qui indiquerait au spectateur, voyez ici je vous parle d’un film de Visconti, d’Antonioni ou de Fellini. Son procédé à lui ressemble bien davantage à un geste plus léger, plus discret (qui ravit donc les critiques chercheurs de trésor), qui s’appuie sur de petites bulles ou pastilles glissées ici ou là. Sauf que ce même procédé nous prive d’une lecture et d’une approche de Gomes qui serait plus globale, qui nous emporterait davantage. En somme, pour que la poésie ressorte moins artificiellement, nous aurions préféré qu’elle émane, dans d’autres proportions, des mots et des images de Gomes lui même. Car ce Grand Tour, au final, comme le font les voyages touristiques accélérés, ne nous raconte que très peu d’un pays, d’une ville, seules quelques cartes postales – nous retenons celles qui nous parlent – alimentent notre souvenir, là où au contraire un Hsao Hsien, un Yang pour citer des cinéastes de la nouvelle vague Taiwanese, captaient avec beaucoup de justesse et de patience, (on pourrait tout aussi bien évoquer le travail de Zhang-Ké, de Wang Bing) le temps révolu, la mutation en devenir, et la frontière laissée entre les deux.

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