Trente ans après sa sortie en salles, Jeu d’enfant (Tom Holland, 1988) se voit enfin offrir une édition Blu-ray en France. Chapeautée par ESC Éditions, cette mouture, disponible à partir du 3 juillet 2018, permet d’appréhender dans les meilleures conditions une production horrifique dont la nature franchisée (pas moins de sept versions jusqu’au récent Retour de Chucky) a parfois fait oublier la valeur première.
À l’instar de la saga des Vendredi 13 (1980-2017), Jeu d’enfant est souvent réduit à la figure de sa créature monstrueuse : la poupée Chucky, possédée par un gangster sadique adepte de magie vaudou. Progressivement gangrenée par l’habituelle évolution parodique du genre fantastique, la franchise a toujours peiné à retrouver sa saveur originelle.
Tom Holland, son réalisateur, qui dans un précieux bonus revient longuement sur le contexte de production du film, semble avoir subi le même sort. Oublié des cinéphiles, le cinéaste peut pourtant s’enorgueillir d’avoir offert au cinéma de genre un certain nombre de productions de qualité. Articulant brillamment horreur et comédie, l’œuvre de Holland s’inscrit en plein dans cette nouvelle tendance du cinéma fantastique américain apparue à l’orée des années quatre-vingt. Vampire, vous avez dit vampire ? (1984), La Peau sur les os (1996), ou sa participation à la célèbre série Les Contes de la crypte (HBO, 1989-1996) affirment la maîtrise d’un réalisateur adepte d’un humour grinçant et dégoulinant d’hémoglobine. Et Jeu d’enfants ne déroge pas à la règle.
L’autre visage du film est celui de Don Mancini, son scénariste et qui sur bien des points peut être considéré comme le créateur de la saga. Étudiant à UCLA, Mancini imagine l’histoire de cette poupée diabolique et signera le scénario de tous ses films (et même la réalisation de trois d’entre-eux). L’intelligence de son premier jet fut de parvenir à associer de façon frontale la figure de Chucky à celle de Andy (Alex Vincent), son jeune propriétaire.
De fait, en jouant constamment sur cette complémentarité entre le ludique et l’horrifique, le film met indirectement en cause l’innocence enfantine. Cette ambiguïté n’est pas sans rappeler celle qui imprégnait la figure des Gremlins (1984) de Joe Dante, qui de gentils animaux en peluche se transformaient subitement en dangereux prédateurs, et permet de déjouer le sacro-saint principe de l’identification hollywoodienne.
Sourire macabre et canines acérées se substituent bien vite aux joues roses et autres expressions préformatées. Ce basculement surprend moins qu’il n’exprime toute la densité de l’inquiétante étrangeté freudienne. Les habitudes implosent tandis que le familier se voit investit d’une charge critique tout à fait saisissante.
Car c’est sans doute ici qu’apparaît clairement la principale qualité de Jeu d’enfant. À la magie vaudou de bazar, on préférera la représentation cynique d’une société mercantile et artificielle. Poupée parmi les poupées, Chucky inquiète car, à la différence de ses congénères, elle se trouve être réellement animée. Plus besoin de piles donc, tandis que les formules stéréotypées sont balayées par la vulgarité d’un langage plus ordurier. Profitant de l’excellence du travail du maquilleur Kevin Yagher (qui, à l’instar de Tom Savini, est un habitué de ce type de production), Chucky hurle, crache, souffre, exprime en définitive un panel d’émotions par trop humaines. Voilà donc bien ce qui dérange la famille type-américaine : faire face à un produit qui rejette sa valeur marchande pour se présenter comme un miroir de notre nature la plus profonde. Cet aspect fait écho aux exactions du Freddy de Wes Craven, venu hanter de ses griffes aiguisées et de sa peau brûlée, les jolies rêves de la classe moyenne américaine.
Les lumières s’éteignent, les fenêtres se brisent (rappel matériel de la fracture familiale contenue par le récit), tandis que la poupée vivante invite à un parcours atypique dans les bas-fonds de la ville. Produit dysfonctionnel à souhait, Chucky transforme l’atmosphère chaude des intérieurs douillets en un crépuscule angoissant et inaccoutumé.
Point de vue éditorial, il faut souligner l’étendue du travail opéré par ESC Éditions qui répondra aux attentes des cinéphiles les plus exigeants. Outre l’entretien avec Tom Holland susmentionné, les boni permettent d’en apprendre plus sur les à-côtés du film. L’essayiste Laurent Aknin (à qui l’on doit entre autres l’excellent Mythes et idéologie du cinéma américain, publié en 2012 aux éditions Vendémiaire) analyse avec sagacité la représentation de la poupée maléfique au cinéma et son rapport à l’enfance, tandis que Caroline Vié, journaliste et romancière, se focalise sur la saga des Chucky pour en souligner l’originalité discursive et transgressive. Quant aux aficionados, on ne peut que trop leur conseiller de se diriger vers le combo Blu-ray-DVD, coffret de prestige appelé à devenir un véritable objet de collection, contenant un livret de 24 pages signé par le critique Marc Toullec (Mad Movies ; Impact ; Ciné Choc ; Studio) en édition limitée. Pour précommander votre exemplaire, direction le site d’ESC Éditions