De Wes Craven, l’amateur éclairé connait surtout ses créatures les plus notoires : Freddy, le serial-killer envahissant les rêves de ses victimes armé de ses lames gantées, ou Ghostface le mystérieux tueur masqué observant à distance les adolescents de Woodsboro. Mais ces figures, aussi représentatives soient-elles, ne constituent qu’un aspect du cinéma de Craven.
Né en 1939 à Cleveland (Ohio), Craven entreprend des études de psychologie et de lettres avant de travailler pour la télévision comme monteur de bandes d’actualités, une formation qui influence l’esthétique de son premier long métrage, La Dernière maison sur la gauche (1972), variation horrifique autour de La Source (1960) de Bergman. Le grain du 16mm et la représentation frontale de la violence confèrent au film un aspect documentaire troublant de vérité. Aux côtés de Tobe Hooper, John Carpenter ou Brian De Palma, le cinéma de Craven s’inscrit à l’intérieur de ce nouvel âge d’or du cinéma fantastique américain qui perdura tout au long des années soixante-dix. Si certains se détourneront du genre (De Palma) ou passeront difficilement le cap des décennies suivantes (Hooper, Carpenter), Craven affiche quant à lui une remarquable constance.
En 1984, Les Griffes de la nuit lance l’une des franchises les plus rentables du cinéma d’horreur, à laquelle Craven donnera le coup de grâce en 1994 avec Freddy sort de la nuit, film pirandellien au possible assurant la mainmise du cinéaste sur son projet originel. Si Freddy éclipsera quelque peu les productions ultérieures de Craven (Shocker et surtout My Soul to Take, son avant-dernier film n’apparaissent que comme des pâles copies des Griffes de la nuit), les années quatre-vingt constituent sans doute la meilleur période de la filmographie de Craven. Dans L’Amie mortelle (1986), une femme-robot, digne héritière de la Maria de Metropolis (Fritz Lang, 1927), vient semer le trouble dans une petite banlieue américaine ; L’Emprise des ténèbres (1988) prend la forme d’un discours sur la mort à travers les cultes vaudous haïtiens ; Le Sous-sol de la peur (1991) narre l’exploration cauchemardesque d’une maison pleine de mystères. Scream (1996) ouvre une nouvelle saga cinématographique (passée depuis juin 2015 sur le petit écran de la télévision) et relance la mode du slasher. En quatre films, Craven et son scénariste Kevin Williamson émettent une réflexion ludique et réflexive sur le cinéma, mise en abyme généralisée qui saura convaincre un public populaire et cinéphile. La Musique de mon cœur (1999), mélodrame sensible et émouvant, racontant les péripéties d’une mère célibataire enseignant le violon aux jeunes de quartiers défavorisés, prouve la capacité du cinéaste à s’adapter à n’importe quel genre tout en y inscrivant ses thématiques personnelles.
Si à l’instar de ses contemporains, Craven lorgne du côté du cinéma d’Alfred Hitchcock (Psychose [1960] apparaissant comme une matrice formelle pour toute une génération de cinéastes américains officiant dans le fantastique), sa première référence pourrait être Jean Cocteau. Même jeu d’ombres et de lumière, semblable intérêt pour l’idée du passage, des frontières, des surfaces réfléchissantes et poreuses. Comme les avant-gardistes français des années vingt, Craven clame son amour du cinéma à travers la déconstruction de ses mécanismes. En cela, la thématique du rêve est primordiale. Devenue centrale à partir des Griffes de la nuit, cette dernière assure la scission et la rencontre entre deux univers : la conscience sociale et l’imaginaire, l’éveil et le sommeil, l’écran et la salle.
Décédé le 30 août 2015, Wes Craven laisse derrière lui quelques uns des plus beaux cauchemars du cinéma américain. So long bad dreams.
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