En 2014, Michel Ciment publiait aux éditions Cahiers du cinéma un ouvrage intitulé Jane Campion par Jane Campion. Le célèbre critique vient de nous livrer une seconde édition augmentée et mise à jour de cette biographie qui vient faire écho au Prix Lumière remis en octobre dernier à Jane Campion lors de la 13ème édition du festival lyonnais éponyme. Cet ouvrage-somme a été salué dès sa première édition par le Syndicat français de la critique de cinéma qui avait décerné à son auteur son Prix du Meilleur album de cinéma.
L’ambition de Michel Ciment tient dans la revue exhaustive et chronologique de la filmographie de Jane Campion. L’œuvre cinématographique de cette dernière débute par l’écriture et la réalisation de six courts-métrages durant les années 1980. Puis vinrent la réalisation d’un premier long-métrage destiné à la télévision – Two friends (1986) – et l’écriture et la réalisation de Sweetie (1989), son premier film pour le grand écran. Les deux décennies suivantes furent occupées à la réalisation d’autres longs-métrages pour le cinéma sur lesquels la réalisatrice est aussi quasi systématiquement créditée à l’écriture du scénario jusqu’à Bright star sorti en 2009. Pour la réalisatrice néo-zélandaise, la décennie 2010 est marquée par la réalisation de la série TV à succès Top of the lake. En 2013, les sept épisodes de la saison 1 furent coréalisés avec Garth Davis, du moins en partie, puisque Campion fut l’auteure unique des épisodes 4, 6 et 7. En 2017, elle participa à l’écriture et à la réalisation de la saison 2 de Top of the lake en collaboration avec Gerard Lee pour les épisodes 1 et 5 (China girl et Who’s your daddy ?) alors qu’Ariel Kleiman réalisa les quatre autres épisodes. Ce n’est qu’en 2021 que le long-métrage Bright star trouva un successeur à travers The power of the dog, une production estampillée Netflix pour laquelle Campion assura l’écriture du scénario adapté d’un roman de Thomas Savage et la réalisation. Ce retour tant attendu au grand écran fut salué par la critique avec notamment l’obtention du Lion d’argent 2021 et de l’Oscar 2022 de la Meilleure réalisation.
L’œuvre cinématographique de Campion compte ainsi désormais une vingtaine de métrages réalisés sur une quarantaine d’années dont les deux décennies centrales (1990-2009) concentrent tous ses long-métrages exception faite de The power of the dog. Cette filmographie est marquée par l’obtention de nombreux prix notamment au festival de Venise. Mais le plus emblématique d’entre eux est très certainement la Palme d’or obtenue pour La leçon de piano. En effet, Campion devint en 1993 la première réalisatrice à obtenir cette prestigieuse récompense qui ouvrit sa filmographie naissante à une meilleure reconnaissance à travers le monde. D’ailleurs, la réalisatrice néo-zélandaise obtint l’année suivante pour ce même film l’Oscar du Meilleur scénario original. Cette Palme d’or venait en prolongement d’une autre Palme d’or, bien moins médiatique, remise en 1986 à la cinéaste néo-zélandaise pour la réalisation de Peel – An exercise in discipline (1982), son premier court-métrage.
Dans un format quasi carré (250 x 290), Jane Campion par Jane Campion rend compte d’un cinéma éminemment féminin. Certes, Campion réfute faire des « films de femme » mais pour autant les personnages principaux qu’elle met en scène sont féminins. Les relations humaines de ses protagonistes et leurs désirs de femme sont les principaux moteurs de ses films. Exception faite et notable de son dernier film en date, The power of the dog, toute sa filmographie s’articule autour de femmes. De Kelly et Louise (Kris Bidenko et Emma Coles) dans Two friends à Robin (Elisabeth Moss) dans Top of the lake en passant par Ada (Holly Hunter) dans La leçon de piano, toutes sont en lutte pour leur autonomie vis-à-vis de la gente masculine.
Dans Jane Campion par Jane Campion, Ciment procède par ordre chronologique pour visiter l’entièreté de la filmographie de Campion. Ainsi, l’analyse des six premiers courts-métrages de la réalisatrice – de Mishaps : Sediction and conquest (1981) à Dancing daze (1986) – compose le premier chapitre du livre qui fait suite à une courte introduction et quelques pages consacrées aux parents comédiens de théâtre, à l’enfance et aux études d’abord artistiques puis cinématographiques au début des années 1980 de la réalisatrice. Nous constatons ici que ses relations avec sa mère et les relations dysfonctionnelles chez les Campion vont innerver de façon patente son cinéma.
Le chapitre suivant regroupe les deux premiers longs-métrages réalisés Campion, à savoir Two friends et Sweetie. Si le premier était destiné à la télévision, le second fait entrer la cinéaste dans la sphère du 7ème art. Les chapitres qui suivent sont ensuite dédiés à un unique film jusqu’au dernier en date, The power of the dog.
Invariablement, chaque chapitre comporte une analyse critique par Ciment du métrage traité et est toujours complété par une interview de la réalisatrice relative au film considéré. Ces entretiens sont ceux que l’auteur a mené avec la réalisatrice depuis près de 30 ans. Ils ont été publiés dans la revue Positif dont Ciment est le coordinateur et l’un des membres du comité de rédaction. Ils sont une composante importante de l’ouvrage et justifient le titre de celui-ci bien que quelque peu réducteur. Cette seconde édition de Jane Campion par Jane Campion comporte notamment un entretien inédit relatif à la série télévisée Top of the lake.
Cet album sur le cinéma de Campion est richement illustré par des photographies prises sur les plateaux de tournage, des photogrammes tirés des films analysés. Ces photographies sont issues des archives photographiques de la revue Positif. Plus intéressant encore, quelques portions de scripts annotés ou de story-boards viennent compléter une iconographie abondante.
En complément et sous l’intitulé « Ecrits personnels de Jane Campion », Ciment livre notamment, traduits de l’anglais, les souvenirs de Holly Hunter sur le tournage de La leçon de piano. Dans ses écrits bonus, Campion confie aussi des documents personnels ainsi que des écrits relatifs au poète John Keats. Enfin, la filmographie détaillée de la réalisatrice néo-zélandaise et une abondante bibliographie closent cet impressionnant et généreux ouvrage s’étirant sur 240 pages.