Piège pour Cendrillon fait partie des films les plus rares parmi ceux réalisés par André Cayatte. Avec l’aide de Jean Anouilh, le cinéaste adapte sur grand écran le roman éponyme de Sébastien Japrisot. L’histoire de doubles racontée se décline en trois rôles pour Dany Carrel. Ce long-métrage, dont la rareté est liée à des droits longtemps bloqués par le romancier insatisfait par le portage de ses écrits sur grand écran, brille d’une double singularité. Il y a celle d’un genre cinématographique peu visité par le cinéaste. Enfin, il y a celle liée aux interprétations de l’actrice également rarement vue dans les registres abordés ici.
Victime d’un incendie, une jeune fille se réveille amnésique dans une clinique. Elle doit réapprendre petit à petit les mots, les idées, la vie. On lui dit qu’elle s’appelle Michèle, l’héritière d’une riche industrielle et que sa cousine Dominique a péri dans l’incendie. Jeanne, sa gouvernante, vient la chercher à la clinique. Bientôt Michèle va découvrir qui elle était vraiment…
Dany Carrel interprète deux cousines à la veille d’un drame qui coûtera la vie à l’une d’entre elles et la mémoire à l’autre. Le troisième rôle tenu par l’actrice est ainsi celui d’une jeune héritière amnésique. La quête d’identité de cette dernière sert de fil directeur à un récit psychologique, trouble et anxiogène façon Henri-Georges Clouzot. Au fil d’une réalisation très moderne, André Cayatte met en images cette histoire de doubles, véritable récit à tiroirs aux multiples rebondissements. Il multiplie les effets miroirs et les faux semblants. Les partis-pris formels du réalisateur apparaissent dès un générique de début qui éveille la curiosité. Cet éveil ne retombera pas jusqu’à l’ultime photogramme.
Autre exemple, la première scène de Piège pour Cendrillon invite les spectateurs à se glisser dans la peau de l’héroïne amnésique à l’écoute de son médecin placé devant elle et donc devant nous. En nous identifiant comme son héroïne principale, Cayatte nous plonge déjà dans les affres mémorielles de celle-ci. C’est astucieux et surprenant.
Les rôles des deux cousines permettent de voir Carrel dans des registres connus : une femme vénéneuse et sensuelle, drôle et pimpante. Mais l’interprétation d’une femme amnésique pousse l’actrice dans des zones d’interprétation qui lui étaient beaucoup moins coutumières. Ce sont celles d’une femme sans fard, fragile et névrotique. L’actrice trouve ici peut-être l’un de ses meilleurs rôles et assurément le plus complexe. Soulignons aussi à ses côtés la belle prestation fournie par Madeleine Robinson.
Le scénario diabolique de Piège pour Cendrillon est extrêmement astucieux. Il ménage jusqu’au terme du film le doute sur l’identité de la survivante amnésique parmi les deux cousines. L’intrigue liée à l’héritage industriel ajoute un niveau supplémentaire de complexité dans l’histoire racontée. Faute de liant, le récit existentiel avancé parait cependant un peu décousu et peine à mettre en évidence une progression narrative constante.
Le thème musical de Louiguy et la belle photographie composée par Armand Thirard offrent un écrin audiovisuel idéal. Ils surlignent la noirceur recelée par ce long métrage. Piège pour Cendrillon signé Cayatte jouit d’une indéniable singularité dans la filmographie de son auteur. Plus de cinquante ans après sa réalisation, la part extraordinaire et fantastique (évoquée par le titre) du film nous est enfin donnée à découvrir. Il y a là une belle proposition cinématographique.