Devenir cinéaste constitue pour beaucoup un rêve, difficilement accessible. Beaucoup de candidats, mais très peu d’élus. Aujourd’hui, la part belle est accordée aux cinéastes accomplis – et encore, même auréolé de critiques intéressantes ou d’entrées en salles prometteuses, un cinéaste qui a fait ses preuves par le passé peut rencontrer de grandes difficultés à trouver les financements pour réaliser son prochain long métrage. Ainsi d’un cinéaste jugé hors mode, comme Doillon dans les 2000, qui rencontra toutes les peines du monde à financer ses projets. –
La voie usuelle pour les jeunes cinéastes passe par le format court – qui sert d’épreuves du feu à certains producteurs – et par une formation prestigieuse (le plus souvent la Femis). Pourtant, d’autres voies ont pu exister, existent encore, ou émergent, moins officielles, pour faire naître des films et des cinéastes.
Certes, l’industrie aime à baliser les parcours, et à accorder ses précieuses aides selon des critères changeant de temps à autres, en lien avec une politique culturelle, mais aussi en lien avec des objectifs plus sociétaux, voire politiques (favoriser la diversité – mais pas trop, défendre de nobles causes, répliquer des recettes à succès ou surfer sur le thème du moment, …), mais depuis la Nouvelle Vague, nous savons, et Godard fut le premier à le proclamer, que la meilleure recette pour faire des films consiste probablement à … en faire.
Plusieurs chemins s’offrent aux « jeunes » cinéastes (au sens où ils n’ont pas encore réalisé de long métrage, comme par exemple Jeanne Aslan et Paul Saintillan qui l’année dernière ont réalisé Fifi, ou encore Jean-Baptiste Durand, réalisateur de Chien de la casse), pour un jour escompter figurer parmi les heureux élus. De ce que nous avons pu observer – Au Mag Cinéma, nous mettons sur un plan d’égalité les cinéastes émérites et les cinéastes de demain, et nous prenons toujours autant de plaisirs à rencontrer des cinéastes en devenir, comme cela a été le cas encore cette année à l’occasion du Festival Premiers Plans à Angers qui vient de se terminer et le sera probablement lors du Festival International du Court Métrage de Clermont Ferrand qui démarre ce week-end – la voie royale n’est pas toujours si bien balisée que ce que l’on pourrait croire, et il n’y a pas réellement de recettes miracles, ou de conseils qui puissent être meilleurs que celui de Godard. Outre le fait qu’une sélection naturelle s’opère sur la détermination des personnes (ceux qui abandonnent leur rêve avant d’avoir tenté ne pourront y prétendre), sur des critères sociaux-culturels (il est bien plus aisé à un enfant de cinéaste, de comédien ou d’artiste de devenir lui même cinéaste – et d’en avoir eu l’idée-, il est bien plus aisé à une personne disposant de moyens suffisants pour autoproduire un premier film d’y arriver, ou d’en prendre le risque), d’aura naturelle (les personnes charismatiques, entourés d’amis, sauront plus facilement convaincre de leur talents que des personnes plus isolées, ne bénéficiant pas d’un réseau suffisant ou n’ayant pas accès à la bonne information qui les aiderait à emprunter la bonne direction et à croire en leur chances), un aspirant cinéaste aura le choix entre deux parcours diamétralement opposés.
Le premier, qui peut paraître moins risqué, consiste à franchir les étapes une à une, à écouter les autres, à apprendre à leurs côtés, et à ne se lancer qu’une fois que tous les voyants sont au vert, c’est à dire, le bon diplôme, le bon réseau, le bon producteur, le bon scénario, la bonne idée, le bon sponsor, le bon moment. Pour certains, très déterminés et très informés, il s’agit même de la seule et unique voie « acceptable »; il s’agira précisément d’être excellent élève avant de pouvoir s’affirmer et voler de ses propres ailes. Picasso, par exemple, commença par copier de nombreux tableaux de maîtres (au Louvres notamment) avant de se faire connaître et de plus tard inventer le cubisme. Pour celui qui choisit cette voie, trois facteurs rentrent en jeu, comme pour de nombreuses professions, l’excellence tout d’abord, puisque la sélection se fait à tout niveau, pour rentrer dans une école (si possible la Femis, au concours si exigeant), s’y faire remarquer, puis quand il s’agit de réaliser un court métrage ou d’assister un réalisateur émérite … Le talent ensuite, difficile à définir, celui-ci pouvant d’ailleurs provenir d’un apprentissage plus ou moins long, mais aussi être volatile, ou lié à une conjoncture … Mais aussi la chance … La chance de rencontrer les bonnes personnes (les écoles aident à se créer un réseau, ou à être mis en relation), d’avoir la bonne idée au bon moment, de bénéficier du bon buzz, d’être repéré par une personne influente, de rencontrer le bon producteur … Les gens de droite auront tendance à considérer que la chance se mérite, qu’elle se provoque, les gens de gauche afficheront plus volontiers quelques réserves, et tenteront précisément d’équilibrer les chances, avec plus ou moins de succès et de pertinence … Parmi les jeunes cinéastes ayant suivi le chemin institutionnel et repérés ces dernières années, nous pouvons notamment citer Eléonore Serraille (Jeune Femme), Samuel Theis, Marie Amachoukeli et Claire Burger (Party Girl) ou cette année Iris Kaltenbäck (Le ravissement), et avant eux, presque toute la génération des cinéastes du jeune cinéma français, majoritairement issue de la Femis, comme la génération pré-Nouvelle Vague venait de l’EDHEC.
L’autre voie, ou plus précisément, les autres voies, rejoignent davantage l’esprit frondeur de la Nouvelle Vague, en faisant fi des circuits établis, en faisant naître des films en profitant de la baisse des coûts techniques pour réaliser un film (mais démystifions quand même cette légende, la majorité des cinéastes de la Nouvelle Vague était bien née et pouvait se le permettre, au contraire plus tard de quelques uns qui les suivirent -nous pensons à Eustache-). A l’image encore d’un Mocky, trouver sa voie peut passer par la simple volonté, en fuyant tout establishment, dans un esprit pouvant être bricoleur, artisanal, punk ou même provocateur. Plutôt que de se conformer, faire le choix de se différencier, de tirer partie de sa différence. Plutôt que de copier, d’imiter, ou de se référer: tenter, essayer, apprendre en faisant, en se trouvant. Plutôt que d’atteindre un résultat rentrant dans des standards ou d’appliquer tel ou tel gabarit: chercher d’autres formes. Plutôt que de passer par ceux qui font la pluie et le beau temps sur le cinéma: passer par de nouveaux acteurs (La Nouvelle vague au delà de la révolution des auteurs, fut aussi une révolution des producteurs !). Chercher également d’autres moyens d’apprendre, autodidactes, ou en s’intéressant à des voies alternatives (les écoles de cinéma sont aujourd’hui diverses, certaines forment à la technique (BTS audiovisuels par exemple, ou Ecole Louis Lumière), certaines sont privées (et donc sélectives sur un critère social …), d’autres publiques, comme certaines écoles d’art… Bien entendu, il convient de citer également des initiatives comme celle de Kourtrajmé qui cherchent précisément à faire émerger de nouvelles voies, de nouveaux talents, mais aussi des festivals comme le festival Nikon, ou même plus globalement des plateformes comme Vimeo ou Youtube qui aident à la diffusion.
Aussi, de très nombreuses boîtes de production cherchent à cultiver une différence, à proposer des films hors sentiers battus, et à les faire connaitre également à l’occasion de festivals qui se spécialisent sur un type de films (Festival de film politique, films de genres, ou ofnis (festival du film grolandais) … ).
Aujourd’hui, une bonne partie de l’industrie cinéma passe par une composante que nous pourrions appeler R&D, un laboratoire gigantesque, viviers de talents, et ouvre des possibilités à des cinéastes en devenir qui ne rentreraient pas dans les canons pour la voie plus institutionnelle.
Les parcours peuvent parfois aussi être cabossés. Nous avons pour cela en mémoire le parcours d’un cinéaste comme Erich Zonca , qui après de nombreuses années de galères, et sans véritable formation, commença à travailler auprès d’Arthur à la télévision puis pour Questions pour un champion, avant de réaliser un film qui deviendra culte pour toute une génération (La vie rêvée des anges)… A l’instar d’Eustache aussi, qui avant de réaliser ses premiers courts travaillait pour les chemins de fer.
Parmi ces nouveaux possibles, il y a en premier lieu le film fait en collectif, lequel a pu se former pendant les études. Ainsi, les festivals diffusent de nombreux courts métrages étudiants, et tous les ans chaque école de cinéma, qu’elle soit reconnue comme la Femis, ou moins réputée (les options cinéma des universités, les écoles privées comme l’ESRA, de très nombreux BTS audiovisuels en tout genre), donnent naissance à des films à la forme courte, qui connaissent des fortunes diverses. Les écoles d’animation également permettent aux élèves de se révéler. Mais les collectifs se forment aussi dans le milieu associatif, des personnes, militants pour une cause et voyant la nécessité de la faire connaître ou de mettre en lumière un sujet en particulier, se lancent dans des projets de documentaires. Le plus souvent, ces films collectifs font appel à la débrouille, que ce soit sur le plan matériel (trouver les caméras, les équipements de lumière ou de son, les ordinateurs et logiciels de montage), humain (le collectif invite chacun à dépasser son propre savoir-faire et à endosser des casquettes inhabituelles, le réalisateur pouvant faire les costumes, le décorateur pouvant devenir producteur ou acteur… et surtout sur le plan financier (fonds personnel, campagne de crowdfunding, …). Cette voie, que l’on nomme communément autoproduction, se développe de plus en plus, et permet à un autre cinéma d’exister, ou de germer. Godard lui même, après être devenu célèbre, fit le choix du collectif militant, cherchant à aligner ses convictions politiques à la manière qu’il avait de faire des films donnant naissance au collectif Dziga Vertov. Une variante, souvent moins militante mais aussi moins prolifique en talents, est le film de potes, une autre le film produit sur fond personnel, dans une approche professionnelle, avec l’ensemble des intervenants qui acceptent de fonctionner à perte (équipes bénévoles, limitations des frais, ….), qui permet à certains talents d’éclore, difficilement, quand ils parviennent à être repérés (voir à ce sujet notre interview d’Alice Voisin, une excellente cinéaste qui a déjà réalisé plusieurs court métrages de qualité qui n’ont pas forcément encore percé, parfois un peu laissés de côté par les festivals).
L’idée même de vous proposer cet article qui recense quelque peu quelques unes des voies qui permettent de donner naissance à des films, à des auteurs, ou à des artistes nous est venue de notre rencontre avec la société de production nantaise Artwooks (et son envers WooksArt).
Wooksart est une association audiovisuelle caritative, qui se donne pour but de défendre les plus démunis ou ceux qui font face aux injustices sociales en leur permettant de s’exprimer à travers la voie de l’audiovisuel. L’association, présidée par Guillaume Gevart, est constituée de bénévoles qui s’engagent dans un combat contre les discriminations raciales, les inégalités des sexes, et supportent les orphelinats, les enfants handicapés et toutes les personnes considérées « marginales ».
Artwooks Media, par ailleurs, est une agence audiovisuelle aux services des entreprises, qui propose des services en réalisation vidéo (vidéo d’entreprise, clip, court-métrage, documentaire, interview…) et en post-production pour les entreprises et particuliers.
Nous avions découvert un documentaire intéressant réalisé par Dylan Besseau, sur Anne Bouillon, une avocate très investie et spécialisée sur la question des violences conjugales, qui nous avait interloqué. Hélas, ce film n’aura pas de diffusion publique pour le moment, quoi qu’il ait eu toute sa place dans l’un des festivals de film politique (Carcassonne, Amnesty, …). En dressant le portrait de la femme Anne Bouillon à l’exercice, le jeune réalisateur cherche à faire ressortir la cause, mais également à donner la parole à des personnes plus invisibles, notamment la secrétaire d’Anne Bouillon, qui revient très souvent pour commenter la personnalité de sa patronne, louer ses qualités personnelles, mais aussi qui permet de rendre compte de l’action menée d’une façon plus globale, elle même jouant un rôle très important lorsqu’elle a pour la première fois au téléphone des victimes qui rentrent en contact avec elle. Sur la forme, ce portrait d’Anne Bouillon se présentait sous des apparats de document plutôt institutionnels, mais en se permettant quelques insertions du côté du film documentaire à vocation plus artistique, à l’image d’une scène d’introduction qui plutôt que de s’intéresser à son personnage principal que l’on allait suivre, suivait les murs et fenêtre de son bureau, en musique, avant de rentrer dans son bureau; une mise en scène que l’on retrouve parfois dans des thrillers, qui installe une forme de tension immédiate et éveille la curiosité du spectateur, en attente de savoir où ce chemin le mène.
Nous avons ensuite découvert un autre film de Dylan Besseau, son premier, La légende de Thierry Mauvignier. Là encore, d’un film institutionnel, le jeune réalisateur a cherché à trouver une voie qui lui soit plus personnelle. Ce film, qui devait être à l’origine un making of de 20 min sur un court métrage à costume bénéficiant d’un gros budget de la Région, s’est transformé en moyen métrage, dont la particularité est de chercher à déplacer le regard. Si l’ouverture nous introduit Thierry Mauvignier, un réalisateur ambitieux, très sérieux, sûr de son talent et investi, assez rapidement, on sent que la caméra de Dylan Besseau, contrairement à son titre, vise à observer tout autre chose que la personnalité -plutôt fade, en tout cas à l’exercice- du réalisateur, à savoir le travail collectif, l’importance des travailleurs de l’ombre, leur bienveillance. Il vise aussi à mettre l’accent sur un autre envers de décor (dans une logique de making of): tout ce qui contribue à la fabrication d’une scène technique, impliquant chorégraphie, costume, décors, dressage d’animal, et plus globalement tout ce qui contribue à la fabrication d’un film. La curiosité de Dylan Besseau se reporte non pas sur le projet en lui même de Thierry Mauvignier, dont il semble se détourner un peu malgré lui (les scènes de tournage se répétant chaque jour, nous ne saurons pas même quelle légende est mise en scène), mais sur l’effet qu’il produit sur chacun des acteurs. L’exercice tangue un peu nécessairement, car le ton est difficile à trouver du fait de la contrainte. Puisqu’il s’agit d’un objet de commande, d’un film devant aboutir à un making of institutionnel, il n’aurait pas été acceptable de faire ressortir le ridicule que le court métrage à grand budget, avec beaucoup (trop) de sérieux, peut comporter, au risque de fâcher ceux qui financent ce making of. Pourtant, malgré le titre ronflant, une musique grandiloquente à l’américaine très vite énervante, une forme qui semble, dans un premier temps, toute consacrée à l’exercice imposé, la seconde partie du film vient à davantage nous intéresser, à mesure que le procédé d’interview mis en place montre une empathie avec ceux qui contribuent à la fabrication du film, les techniciens, les acteurs professionnels, les acteurs bénévoles, les costumiers, les décorateurs, l’assistant réalisateur, jusqu’à la stagiaire, tous mis sur un même pied d’égalité. Il nous semble à ce moment là, que la curiosité de Dylan Besseau ne se porte plus du tout sur le film en cours de création, mais sur ceux qui le font et la précision requise pour réussir à réaliser des scènes techniques. En somme, il nous fait partager ce qu’il semble lui même apprendre sur place, le procédé que doit suivre une équipe de tournage, et parmi eux, un cinéaste. Il semble aussi nous faire part, malgré tout, d’une interrogation qu’il semble porter, celle de devoir trouver sa voix plus personnelle à travers un exercice qui lui est imposé, et dans lequel il ne semble pas tout à fait à l’aise, ou en accord. Le résultat en tout cas s’en ressent, puisque le film doit composer avec deux aspirations contraires, l’objet de la commande, marketing, et une envie d’un jeune cinéaste qui cherche malgré tout à faire exister son propre regard. Cette interrogation, nous la retrouvions également dans le portrait d’Anne Bouillon, même si le sujet en lui même de la commande semblait beaucoup plus en accord avec la volonté du réalisateur de diffuser un message en accord avec ses idées. Chercher une voie, mais aussi chercher une voix disions-nous.