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The substance de Coralie Fargeat

Un film de Coralie Fargeat

Avec: Demi Moore, Margaret Qualley, Dennis Quaid, Edward Hamilton-Clark, Gore Abrams, Oscar Lesage, Christian Erickson, Robin Greer, Tom Morton, Hugo Diego Garcia

Elisabeth Sparkle, vedette d’une émission d’aérobic, est licenciée le jour de ses 50 ans à cause de son âge. Le moral au plus bas, elle reçoit une proposition inattendue, celle d’un mystérieux laboratoire lui proposant une « substance » miraculeuse : si elle se l’injecte, elle deviendra la meilleure version d’elle-même, plus jeune, plus belle, plus parfaite grâce à une modification de son ADN…

Un exercice de style qui rappelle, dans sa démarche, celui entreprit par Julia Ducournau avec Titane: s’inspirer de quelques références très populaires, les croiser dans cet esprit mashup qui caractérise notre époque, montrer qu’on les a digérées, pour en ressortir un objet totalement hybride tout à la fois déjà multi-vu (puisque les références sont parfaitement assumées, affirmées et non murmurées, sans jamais se cacher) et novateur (car le mélange n’avait jamais été fait). Exercice de style qui ne va pas sans un revers de la médaille, celui de laisser une place plus faible au scénario, étriqué, voire écrasé derrière toutes ces références. Le résultat eut pu être des plus barbares – indigestes – si Coralie Fargeat n’eut autant de talent. La première demi-heure de The substance se révèle une merveille de mise en scène, de dynamisme, de modernité, de punch. L’introduction des deux personnages principaux en mode miroir, la coach sportive jadis star mais sur le déclin, parfaitement interprétée par Demi Moore qui joue de sa propre image et de son parcours personnel, et sa progéniture réincarnée, en plus jeune, la non moins remarquable Margaret Qualley très en vogue ces derniers temps, se fond avec une peinture (décapante) d’une société de l’entertainment poussée à son comble. Drôle, vif, intelligent, difficile de ne pas accrocher d’emblée, tant tout semble parfait, parfaitement maîtrisée, et à ce moment précis du film, sous contrôle. Une telle perfection rappelle par exemple la maîtrise d’un Lynch au sommet de son art, du temps de Lost Highway (ou rebelote avec Mullholland Drive). Dans cette première demie-heure, les références laissent encore de la place à un discours personnel, Coralie Fargeat s’en prend au Male Gaze, à la domination masculine, avec férocité, et là où Kechiche voyait de la beauté (des culs qui dansent), elle voit de la vulgarité (des culs qui dansent) – nous pensons à notre niveau que les deux points de vus peuvent être entendus :-). Le thème de l’éternelle jeunesse, de la fontaine de jouvance, s’invite alors, de façon très naturelle, et à une version Erzebeth Bathory, qui inspira Julie Delpy (La comtesse), Harry Kümel (Les lèvres rouges) comme Walerian Borowczyk (Contes immoraux), à une référence aux vampires, Fargeat préfère une invention d’un mythe, façon Scott (Alien), Carpenter (The thing), ou Cronenbergienne (La Mouche et tutti quanti), la possibilité rêvée que d’un corps vieillissant puisse renaître une version ajeunie de la même personne, mécanisme prévu, pour des besoins fictifs, d’être réversible, non sans contre-partie et danger. Cette bascule intégrale dans le genre corrobore la bascule de ton du film tout entier, et ouvre le développement d’un deuxième volet, toujours aussi référencé, qui commence à nous diviser. Objectivement, la mise en scène reste brillante, les références à Kubrick (Shining), les miroirs déformant, fonctionnent à plein, mais le procédé narratif commence alors à reposer non sur l’insistance ou la surenchère (qui viendra plus tard, et commence alors à se dessiner) mais sur la répétition, instaurant certes un effet de sas entre deux mondes (deux volets du film bien différent), de transit et donc de transition, mais laissant un peu à quai trop longtemps, il nous tarde que le film redécolle, même si, d’autre part, ce procédé ne peut qu’attiser bien plus encore notre curiosité, et nous interroge sur ce que pourrait être la destination finale, que l’on imagine volontiers bien exotique, bien gore, mais dont on espère secrètement qu’elle pourrait effectuer une jonction avec ce premier tiers si parfait, si percutant et pertinent tout à la fois, que l’on puisse retrouver une esthétique qui peu à peu se déplace vers l’horrifique. Le giallo s’invite alors, et se part de farce avec, et une fois de plus, Fargeat choisit d’assumer, pleinement, totalement, en toute raison (quoi que cela soit du plus déraisonnable). Deux effets sont alors manifestement possibles, si l’on s’en réfère à ce que l’on a observé en salle, mais aussi à ce qui nous divise au sein de notre rédaction, soit un effet exutoire, jubilatoire, accompagné de fous rires incontrôlables, tant the substance surpasse tout ce qui a pu être commis dans la matière (le film a d’ailleurs battu le nombre de litres d’hémoglobines utilisé 21000, Argento et Bava doivent s’en retourner dans leur tombe), nous nous rappelons alors à l’effet qu’à l’époque un film comme une nuit en enferRodriguo Rodriguez– pouvait produire quand un cinéaste se lâche, et accepte de partager son côté le plus enfantin, soit, au contraire, à une exaspération que le film bascule si ouvertement dans la facilité, dans le comique appuyé et inopérant, sans chercher un nouveau ressort qui lui permettrait de fausser bien davantage les pistes, et de raccrocher à cette introduction encore très présente dans nos rétines.

Le film était précédé d’une réputation établie, certaines personnes évoquant un « film d’horreur ». Pourtant, rien ne renvoyait par exemple à l’image classique d’un film sur le satanisme, où les protagonistes seraient possédés.

Après avoir vu le film, nous n’y trouvons toujours pas de satanisme, mais pour autant, il nous semble bien qu’il soit affaire de possession, au sens où Zulawski l’employait (être possédé).

The Substance se distingue particulièrement par sa violence graphique, ses musiques électroniques abruptes (qui rappellent parfois l’univers de la techno), ainsi que par son thème, engagé.

Fortement influencé par le cinéma classique, les références se succèdent : les tapis et la symétrie de The Shining, la musique et certains éléments de 2001 : l’Odyssée de l’espace de Kubrick, les coups de sabre et les projections de sang de Kill Bill de Tarantino, certains plans et cadrages de Lost Highway ou Mulholland Drive de Lynch, les cris d’horreur et les scènes de salle de bain de Psychose, ou encore les lèvres qui apparaissent à l’écran dans Vidéodrome de David Cronenberg, pour ne citer que celles-ci de tout ce patchwork.

En dépit de son aspect « horreur » et de son originalité visuelle, qui rappelle parfois les films du studio A24, nous vient également à l’esprit un rapprochement avec le récent Barbie, notamment du côté de l’humour moderne et critique, mais aussi quant au thème traversé : le regard de la société sur les femmes et ce qui en découle.

The Substance, qui peut être divisé en deux parties, nous interroge sur notre corps, notre apparence et même la finitude de notre existence. Bien que philosophique, le film repose parfois de manière excessive sur des effets gores et des trucages d’image, pouvant donner l’impression qu’il privilégie l’impact visuel à la profondeur du propos. Le scénario, quant à lui, reste assez linéaire tout au long du film, et ne s’avère au final que peu surprenant. Nous pourrions donc le considérer davantage comme un film d’« attraction » que comme une grande œuvre cinématographique, bien que ses références semblent avoir visiblement inspiré la réalisatrice.

Cependant, The substance offre tout de même de bonnes idées de réalisation, et malgré sa durée relativement longue (2h20), il réussit à maintenir l’intérêt, notamment grâce à la dynamique de la double personnalité, qu’on retrouve aussi dans des œuvres comme la série Severance ou l’épisode « La chair vivante » de Doctor Who.

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