Un film de Federico Luis Tachella
Avec: Lorenzo Ferro, Pehuén Pedie, Kiara Supini, Laura Nevole, Agustín Toscano, Camila Hirane
Simon a 21 ans. Il se présente comme aide-déménageur. Il prétend ne pas savoir cuisiner ni nettoyer la salle de bain, mais il sait faire un lit. Récemment, il semble être devenu une personne différente…
Notre avis : ***
Simon de la Montaña de Federico Luis, Grand Prix de la Semaine de la Critique au Festival de Cannes 2024, s’intéresse avec humour et gravité à la fois une sorte de ParcourSup du handicap. C’est dire s’il n’est pas aisé de s’orienter dans la voie de la reconnaissance, dans tous les sens du terme, de l’infirmité. Surtout quand le postulant lui-même doute de la réalité du problème – situation, on l’accordera, finalement plutôt universelle -, et se donne pour argument, croit-il innocent, qu’il cherche à profiter des aides accordées aux handicapés.
Ce parcours à la fois régressif et initiatique d’abord immoral vers son idiot personnel, finit par révéler l’inavouable à Simon et ouvre la voie d’une nouvelle façon de penser et d’appréhender la vie : et si la reconnaissance du handicap était la condition pour vivre une vie meilleure ? À travers cette question en émerge une autre, plus universelle : et si nous étions tous des infirmes relevant de parcours aménagés et d’outillages compensatoires ?
Voilà le paradoxe auquel Simon, 21 ans, apprenti-déménageur pour son beau-père, se confronte, lorsqu’apparaît son tic nerveux inexplicable, trouble du comportement dont il n’arrive plus à se défaire et qui, tout en faisant ressurgir le passé, le transforme profondément. La rencontre avec Pehuen, un jeune handicapé plutôt délinquant, avec lequel naît une complicité immédiate est une révélation. Avec Pehuen, la vie, bien que décalée, devient pleinement signifiante et passionnante, et Simon, s’auto-observant de façon critique, se prend au jeu de jouer à l’infirme.
Le film montre aussi la rencontre avec le groupe d’attache de Pehuen dans un foyer spécialisé et met en scène de jeunes handicapés. Simon ressent pour eux aussi une amitié complète, complexe et profonde qui, tout en ravivant des blessures, réveille des pans morts de sa personnalité. Simon se reconnaît et surtout se rencontre. D’expérience en activité avec ce groupe, il découvre la fraternité, la tendresse, la sexualité, la violence, la liberté : il accède à la part la plus vraie de son humanité et c’est en cela que ce film nous emporte.
Simon découvre aussi la rouerie et les avantages qu’il y a à feindre le handicap, dont Pehuen lui enseigne toutes les astuces, donnant lieu aux scènes les plus drôles du film. Ancien enfant-acteur, Simon s’en donne à coeur joie et interprète les meilleurs rôles de sa vie en jouant les handicapés mentaux lourds. Ce faisant il nous renvoie à nos propres mensonges avec la société et à la façon dont nous protégeons notre intimité sous un masque social.
Mais ces complicités nouvelles lui font quitter progressivement l’envie d’une normalité à laquelle il devient littéralement sourd. En effet un appareil auditif donné par une des résidentes du foyer atteinte de surdité, devient le signe visible de son handicap. Il ne se sépare plus de son oreillette : les sons du monde lui parviennent distordus, et celui lui convient. À la distorsion de ce monde qui sonne de toute façon faux, répond la grimace de Simon, provoquée d’abord par son tic nerveux puis par son nouveau moi, monstrueux, inconnu, filmé au corps à corps, les yeux dans les yeux qui émerge peu à peu.
Ainsi la réussite la plus flagrante de Simon de la Montana est de filmer la grimace de l’infirmité de telle manière qu’elle devient le signe le plus évident de notre appartenance à une communauté humaine et de notre identité.