Un cadre d’entreprise, sa femme, sa famille, au moment où les choix professionnels de l’un font basculer la vie de tous. Philippe Lemesle et sa femme se séparent, un amour abimé par la pression du travail. Cadre performant dans un groupe industriel, Philippe ne sait plus répondre aux injonctions incohérentes de sa direction. On le voulait hier dirigeant, on le veut aujourd’hui exécutant. Il est à l’instant où il lui faut décider du sens de sa vie.
Trois ans après En guerre, Stéphane Brizé revient sur le même thème, mais il décide d’inverser les rôles. Si le film précédent montrait les luttes et le destin tragique d’un ouvrier syndicaliste dans une logique de capitalisme sauvage, cette fois, nous sommes invités à plonger dans le monde brutal des patrons (toujours dans le même contexte), et à découvrir que ce combat n’est pas facile pour eux non plus. De ce point de vue, le scénario s’inscrit, dès le départ, dans une démarche juste, avec un regard social profond (inspiré des témoignages des chefs d’entreprises au bord du burn-out).
Autre différence: dans Un autre monde l’approche documentaire s’équilibre avec une tendance prononcée vers le « drame », grâce à un scénario très structuré, qui laisse suffisamment de place à tous les personnages pour s’exprimer, et qui garde, toujours, une balance entre un ton tragique intense et des moments ironiques. Le personnage de Lucas(Anthony Bajon) enrichit le film et rajoute un côté surprenant au récit avec des réactions dont on ne peut aisément discerner si elles sont de nature schizophrène; on lui doit l’un des moments ironiques le plus marquant du film, lorsqu’il déclare qu’il a reçu une proposition d’emploi de la part de Facebook…
Dès la première scène, nous sommes au cœur du sujet: une femme en colère qui demande le divorce (avec le jeu très touchant de Sandrine Kiberlain, qui est capable de créer un personnage crédible en quelques secondes), un homme épuisé et perdu entre ses responsabilités professionnelles et ses principes moraux. Puis, la tension monte. Doucement mais surement, la vie de Philippe est écrasé sous les décisions des grands patrons et des procédés de plus en plus inhumains des entreprises internationaux.
Le rythme du film semble parfaitement maitrisé; les réunions d’entreprise durent le temps qu’il faut, les coupes en permanence nous permettent de voir les moments de solitude de Philippe, de respirer. Le tout s’accompagne d’une belle musique, triste, alarmante, qui magnifie les images et leur rajoute une dimension intemporelle. Des airs d’opéra réguliers ponctuent la tragédie qui se noue, ce dés l’ouverture du film, fort intéressante et signifiante.
Le rythme dynamique du film qui ressemble à celui d’un thriller, montre qu’avec son nouveau film Stéphane Brizé vise un public plus large. En même temps, les scènes filmées dans le milieu du travail (notamment les différentes réunions) révèlent un fort aspect documentaire, précis et réaliste, avec des acteurs non professionnels qui jouent parfois leurs vrais rôles dans la vie et parfois le rôle inverse (patron/ouvrier).
Pour Stéphane Brizé, « la famille » est au centre du récit, bien plus encore, une « valeur » à défendre. La femme et le fils de Philippe sont importants et attirent notre empathie; finalement ils aident Philippe à surmonter sa crise. La très belle scène finale, quand le couple se réunit après avoir passé les épreuves, s’avère libératrice; et prouve qu’un autre monde avec différentes valeurs peut exister…
Stéphane Brizé a rencontré le public à Rennes (sa ville natale) à l’issue d’une Avant-première: