Yoav, un jeune Israélien, atterrit à Paris, avec l’espoir que la France et la langue française le sauveront de la folie de son pays.
Voilà bien un OFNI – Objet Filmé Non identifié, comme on affectionne !
Les premières images donnent le ton, le réalisateur n’a pas envie de faire comme tout le monde, quitte à suivre quelqu’un qui marche, autant filmer ses pas plus que sa silhouette. La caméra tremble, virevolte, comme pour donner du tonus, puis quand le personnage principal entre dans un appartement, l’image se fait plus statique, plus classique. Sur le plan formel, on note cette volonté de proposer un puzzle peu académique, qui n’aura de cesse de se confirmer, avec quelques jolies réussites – comme les scènes musicales, sans qu’il n’y ait pour autant lieu d’y voir la maestria d’un Noe, une esthétique à couper le souffle comme peuvent le proposer les plus grands formalistes – les Von Trier, Lynch, Hou Hsiao-Hsien et autres Kar wai pour ne citer que ces quelques esthètes. L’entreprise formelle est juste inhabituelle, un rien décontenançante. Elle est surtout parfaitement adaptée au sujet en lui-même, elle l’épouse, y contribue, et y fait écho tout à la fois, offrant tout à la fois un prolongement et un effet miroir de ce qui par ailleurs se dit, se raconte.
Le sujet dont il est question s’avère quant à lui des plus osés. Les cinéastes cherchent le plus souvent à raconter une histoire, à livrer un point de vue, et les mots comme les images viennent en support. Plus la langue est belle et travaillée, plus l’élan poétique a des chances de rehausser le récit, de le colorier et de faire passer des émotions. L’apollonide de Bonello en est un parfait exemple. Avec Synonymes, Nadav Lapid choisit un paradigme bien différent, quasi inversé. Les mots, encore les mots, les mots avant tout: la recherche des mots, l’acculturation des mots, les essais à travers les mots; la quête d’un langage qui puisse trouver son sens dans l’existence, donner du sens à l’existence. Le récit donné à voir au spectateur intrigue au plus haut point, les personnages parlent « comme dans des livres », semblent vivre de façon totalement atypique, dans une forme d’irréalité conceptuelle qui se détache d’une réalité par ailleurs bien présente, car rappeler, par les mots, mais aussi par les gestes. Une allégorie se file, elle entretient un mystère sur chacun des personnages. Le corps, la violence, le traumatisme, la France et ses valeurs, Israel et son régime, le désir, la pulsion, la folie, la musique, la perversion sont ainsi quelques thèmes traversés de manière très foutraque… Certaines situations prêtent à sourire par leur excès, elles sont probablement chargés d’un sens caché à deviner. L’impression produite demeure très particulière; si nous sommes certains que l’oeuvre n’est nullement parfaite – nous tairons ces quelques gratuités que l’on retrouve chez certains écrivains par ailleurs très talentueux, autour de la nudité, du rapport au sexe -, elle présente le mérite de tenter quelque chose d’assurément particulier, d’ambitieux, qui lui a valu la première des récompenses à Berlin.
Synonymes est de ces œuvres qui font réfléchir, le spectateur y est invité au travers de trois protagonistes qui offrent une vérité double, celle d’êtres singuliers, mais aussi une vérité symbolique particulièrement forte; chacun des personnages porte en lui des valeurs, chacun relaye les visions de son pays. Le tour de force de Nadav Lapid n’aurait été possible sans une interprétation au diapason, et à ce niveau, la prestation de Tom Mercier est tout simplement extraordinaire. Le jeune acteur Israelien donne le corps nécessaire au récit, il incarne parfaitement le double de Nadav Lapid. A ses côtés, Louise Chevillotte confirme ses talents d’actrices déjà aperçues dans l’amant d’un jour deGarrel – ou au théâtre -, et Quentin Dolmaire lui aussi confirme après Trois souvenirs de ma jeunesse de Desplechin où il avait pris la lumière.
Le titre Synonymes a lui seul évoque la richesse, la densité de ce film; il porte en lui de nombreux sens, de nombreux mystères. Une interprétation de ce titre peut être l’importance qu’il y a, pour pouvoir canaliser la violence, déradicaliser dans une situation de conflit, de trouver la juste nuance. Une autre convoque l’effet miroir qu’il peut y avoir entre deux pays démocratiques, si proches et si éloignés tout à la fois, ou bien entre un auteur et son double à l’écran.
Nous avons pu évoquer ces sujets lors de notre rencontre avec Nadav Lapid à Berlin. Ces réponses sont particulièrement intéressantes, éclairantes. Nous nous sommes également évertués avec Louise Chevillotte, Quentin Dolmaire, et Tom Mercier à continuer de questionner le film, avec une grande part accordée à l’importance de l’interprétation pour une telle oeuvre.