Un film de Nuri Bilge Ceylan
Avec: Deniz Celiloğlu, Merve Dizdar, Musab Ekici, Murat Kılıç, Onur Gürçay
Dans un village isolé d’Anatolie. Samet, jeune professeur célibataire, finit son service obligatoire en espérant être nommé à Istanbul. Son affectation manquée, il perd alors tout espoir d’échapper à la vie morose dans laquelle il semble embourbé. Mais sa rencontre avec Nuray, professeure comme lui, va peut-être lui permettre d’aller au-delà de ses idées noires et de ses appréhensions.
Notre avis : ***
Il est peu de dire que nous attendions avec beaucoup d’impatience de découvrir le nouveau film de Nuri Bilge Ceylan, l’un des rares cinéastes d’aujourd’hui capable d’allier une pensée, un regard au monde singulier, à une esthétique remarquable qu’il a développé de film en film.
Le film démarre comme si souvent pour le maître turc par poser son sujet, introduire élégamment ses décors et ses personnages, dans une démarche photographique soignée qui laisse la place à la nature, à la lumière, celles des saisons, celle que les paysages sculptent. Ici, Ceylan s’intéresse de nouveau à la campagne, à sa splendeur, à sa tristesse, et s’attache à en créer une image – plus sublime que réaliste – exercice dans lequel il excelle (Il était une fois en Anatolie, Winter sleep). Puis, il introduit son personne principal, complexe sur le plan psychologique, Samet, un professeur d’école de campagne, mécontent de son travail et de son milieu, charismatique (il fascine ses élèves, et ses collègues), aux pensées nietzschiennes.
L’homme, par certains aspects, peut nous apparaître bon, mais par d’autres, Ceylan projette sur lui une zone d’ombre, mystérieuse, une forme de dilemme que le film nous invitera à chercher à résoudre. Est-ce un film sur « le doute », sentiment commun et enfoui ? Sur l’égoïsme? Le besoin qu’on a à l’amour pure? En tout cas, la question morale – l’immoralité – s’invite au cœur du film. L’image que Samet se donne, la bonne conscience qu’il s’accorde, résistent-t-elles à ses pulsions masculines, à son désir de plaire ? Son détachement ne masque-t-il pas une profonde misanthropie ? Ses agissements étranges envers quelques élèves privilégiées, qu’il prend par l’épaule, console et complimentent, et dont il constate en retour l’effet qu’il produit sur elle, son narcissisme donc, ne cachent-t-ils pas une monstruosité plus importante ?
Ceylan ne vise pas à clarifier les questions, au contraire, il tend davantage à brouiller les pistes, et s’autorise quelques virages qu’on ne connaissait pas nécessairement dans ses œuvres précédentes, marque d’une ambition de renouvellement mais peut être aussi d’une part de manque d’inspiration. Les Herbes sèches, comme tout ses films, brille par la subtilité et la multiplicité de ses thématiques, avec un regard toujours aussi philosophique, notamment en ce qui concerne la nature humaine, ce à a quoi tient une relation amicale, ou amoureuse, et leurs limites. Les coups bas, les bassesses, les petites ambitions personnelles sont auscultées au peigne fin, et il évoque aussi de la sorte tout un système compétitif, mis en place en Turquie, et condamne quelque part la perte de valeurs qu’il peut en résulter. Formellement, Ceylan s’essaye pour la première fois à des mises en abîmes. Celle qui consiste à intégrer la photographie directement dans le récit produit son effet, celle qui consiste à proposer un entracte où l’acteur et l’homme viennent à se confondre (que l’on ne vous révélera bien entendu pas) surprend dans le bon sens du terme, et nous aurions même pu penser à un coup de génie, si ce « turning point » avait été suivi d’un virement profond du personnage ou du récit. En lieu et place, le cinéaste commet de notre point de vu cette erreur de vouloir résoudre les intrigues qu’il avait commencé par semer. Là où nous attendions un décollement, une ouverture, nous trouvons en lieu et place une forme de resserrement et de fermeture qui, produit plus des effets de redites ou de désenchantement que d’éclairages nouveaux, conférant à l’ensemble, un problème de rythme. Même si Ceylan retrouve de l’inspiration, poétique, pour son final, tarkovskien et énigmatique.