Sur Inisherin – une île isolée au large de la côte ouest de l’Irlande – deux compères de toujours, Padraic et Colm, se retrouvent dans une impasse lorsque Colm décide du jour au lendemain de mettre fin à leur amitié. Abasourdi, Padraic n’accepte pas la situation et tente par tous les moyens de recoller les morceaux, avec le soutien de sa sœur Siobhan et de Dominic, un jeune insulaire un peu dérangé. Mais les efforts répétés de Padraic ne font que renforcer la détermination de son ancien ami et lorsque Colm finit par poser un ultimatum désespéré, les événements s’enveniment et vont avoir de terribles conséquences.
Avec seulement quatre films réalisés depuis 2008, Martin McDonagh, connu également pour sa carrière au théâtre, n’est pas considéré comme un cinéaste prolifique, mais reconnu comme auteur et récompensé, dès son premier long-métrage In Bruges (Bons baisers de Bruges). Avec Les Banshees d’Inisherin, il propose un deuxième volet de son premier film à succès, avec les même acteurs qui jouent des rôles similaires, ceci-dit dans un contexte totalement différent. On trouve donc ici la même ambiance angoissante et dépressive mélangé à une ironie noire, mais aussi la même tonalité tragi-comique.
Réalisé sur fond de beaux paysages naturels d’une île perchée en Irlande – magnifiquement cadrés – qui représentent une certaine simplicité de la vie rurale, l’humour absurde de McDonagh prend des dimensions épiques et spectaculaires. En outre sa solide culture théâtrale et son expérience de dramaturge lui viennent en aide pour s’inspirer tant de Shakespeare que de Beckett, afin de proposer des réflexions philosophiques profondes sur la solitude, l’art, l’orgueil, l’abandon, la misanthropie et les rapports humains intenses. Les deux personnages principaux du film, piégés dans un cercle vicieux de plus en plus destructif d’amour-haine, tournent en rond. Leur amitié semble autant absurde que leur rupture impossible.
Les Banshees, qui ont donné leur nom au titre du film, sont des créatures féminines surnaturelles de la mythologie irlandaise (d’origine celtique), des messagères de la mort, lesquelles jouent un rôle essentiel dans la tragédie de Macbeth. Conscient de la dimension dramatique de son scénario (qui, par ailleurs, fait référence, subtilement, à la guerre civile de 1921 en Irlande), McDonagh cherche à l’enrichir avec de l’ironie et de la violence physique choquante. Il crée ainsi un univers personnel au style post-moderne, en mettant ensemble des éléments tirés de la Tragédie classique et son regard moqueur sur celle-ci, afin de la réinventer.
Il serait peu pertinent d’analyser le film sans mentionner sa musique originale, non seulement à cause de sa place centrale dans la narration (un des personnages est musicien) mais aussi pour sa qualité, à la hauteur de la beauté des images, aussi pour sa touche folklorique qui accentue l’aspect local du film. Avec Les Banshees d’Inisherin, Martin McDonagh se montre un cinéaste de plus en plus exigeant, capable de soigner les détails et de les harmoniser, réalisant une œuvre parfaite à tous les niveaux. Un des plus grands cinéastes contemporains.