L’œuvre majeure multi-récompensée et profondément féministe de Régis Wargnier, spécialement écrite pour Catherine Deneuve, est enfin visible dans une superbe copie restaurée 4K actuellement à l’affiche au cinéma. Cette ressortie en salle se voit couplée à une distribution sur support DVD et Blu-ray. L’occasion vous est donc offerte de redécouvrir les charmes exotiques de l’ancienne colonie française sur fond de chronique historico-politique.
Dans l’Indochine des années trente, Eliane Devries (Catherine Deneuve) dirige avec son père Emile (Henri Marteau) une plantation d’arbres à caoutchouc. Elle a adopté Camille (Linh-Dan Pham), une princesse annamite orpheline. Toutes les deux ne vont pas tarder à tomber amoureuses de Jean-Baptiste (Vincent Perez), un jeune officier de la marine. Au même moment, sur fond de nationalisme ambiant, sont perpétrés les premiers attentats contre les Français…
La ressortie en salle d’Indochine en version restaurée nous offre l’opportunité de revenir sur ce chef-d’œuvre signé Régis Wargnier. Près d’un quart de siècle nous sépare déjà de sa réalisation (1992) et pourtant, Indochine demeure le dernier film français à avoir été récompensé de l’Oscar du meilleur film en langue étrangère (en 2012, The artist de Michel Hazanavicius avait obtenu celui du meilleur film).
Un projet ambitieux et original
En réalisant Indochine, Régis Wargnier s’est aventuré avec succès dans un genre cinématographique que peu de réalisateurs français ont visité, la chronique intimiste et romanesque sur fond de fresque historique. Il s’est aussi emparé d’un sujet délicat, le colonialisme français en Indochine. Ce thème a rarement été traité par nos cinéastes exception faite, dans un tout autre registre, de Pierre Schoendoerffer avec La 317ème section en 1965 et Diên Biên Phu sorti également en 1992.
Le scénario très élaboré d’Indochine est une œuvre collective puisque que Régis Wargnier fut épaulé dans son écriture par Catherine Cohen et Louis Gardel, mais également par l’écrivain Erik Orsenna, prix Goncourt 1988 pour son roman L’exposition coloniale, récit de la fin de l’empire colonial français dont l’Indochine faisait partie.
La grande et la petite histoire
Dans cette fresque historique, l’ancienne colonie titre est bien le personnage principal. Le récit est vaste, il s’étend du début des années 30, marqué par la montée conjointe du nationalisme et du communisme, jusqu’aux accords de Genève de 1954, synonymes de la fin de la présence française en Indochine. L’histoire de ce paradis colonial français nous est contée à travers celle d’une famille de cultivateurs d’hévéas, représentative de l’aristocratie coloniale.
Régis Wargnier métaphorise ainsi l’histoire des relations entre la France et l’Indochine à travers celles d’Éliane (Catherine Deneuve) et de sa fille adoptive Camille (Linh-Dan Pham). L’entente puis la rupture entre Eliane la française et Camille la princesse autochtone préfigurent celles entre leur patrie respective.
Une mise en scène brillante
Avec un récit portant sur un pan historique d’un quart de siècle et des personnages bien écrits, l’œuvre se révèle ambitieuse d’un point de vue narratif. Elle l’est également sur la forme. Tout au long des deux heures et quarante minutes du film, la mise en scène de Régis Wargnier est aussi précise que maîtrisée à l’image des mouvements de caméra d’une grande fluidité, même pour les plus complexes d’entre eux. Pour mettre en avant la reconstitution historique, le réalisateur choisit d’alterner plans en intérieur et plans en extérieur avec pour constante une magnifique lumière. Les paysages sont très photogénique, que ce soit la baie d’Along où naviguent paisiblement de magnifiques sampans, l’île du Dragon ou la cité impériale de Hué, les prises de vue composent de magnifiques tableaux.
On doit cette éblouissante photographie à François Catonné qui fut récompensé en 1993 du César de la meilleure photographie. Les qualités formelles d’Indochine sont renforcées par celles de la bande originale confiée à Patrick Doyle qui signe là sa première collaboration avec Régis Wargnier. Elle sera suivie de cinq autres projets en commun jusqu’en 2010 avec La ligne droite.
Un film avant tout féministe et des actrices au sommet
Enfin, si dans sa première partie le personnage pivot du récit est incarné par Vincent Pérez, Indochine n’en demeure pas moins une œuvre profondément féministe à nos yeux. Outre l’excellence de leur écriture et de leur interprétation, tous les personnages féminins se révèlent forts dans une société plutôt machiste.
Catherine Deneuve trouve en Éliane un rôle double et complexe, tour à tour dirigeante d’une plantation et mère adoptive. Son interprétation pour ce double combat fut justement saluée d’une nomination aux Oscars et du gain d’un second César de meilleure actrice.
Camille incarnée par Linh-Dan Pham est l’héroïne radicale du film. Sa dissidence et son combat politique deviennent emblématiques des revendications nationalistes de tout un peuple. Ils sont les marqueurs de l’influence communiste grandissante. Ce rôle fort révéla la jeune actrice franco-vietnamienne pour qui Indochine était un premier pas au cinéma.
Enfin, Yvette – personnage qui vaudra à Dominique Blanc un deuxième César de la meilleure actrice dans un second rôle -, épouse du régisseur de la plantation (Jean Yanne) et envieuse du statut d’Éliane doit également lutter pour tenter de s’émanciper d’un cadre social trop prédéfini à son goût.
Une restauration très réussie
Projet ambitieux, film prodigieux, Indochine déroule un récit ample et lucide sur l’histoire coloniale française entre douceur et rudesse, conté par la douce voix-off de Catherine Deneuve.
Les qualités esthétiques du film sont parfaitement restituées et surlignées par sa remarquable restauration 4K par Studio Canal. Outre sa diffusion actuelle en salle, cette copie restaurée fait également l’objet d’une distribution sur support DVD et Blu-ray par la société de distribution Carlotta.
Voilà un argument supplémentaire pour redécouvrir Indochine, sublime œuvre romanesque de Régis Wargnier !