Alain et Marie emménagent dans un pavillon. Une trappe située dans la cave va bouleverser leur existence.
Quentin Dupieux fait parti de ces quelques réalisateurs qui interrogent. Il interroge par son parcours atypique, ayant commencé sa carrière d’artiste par un succès aussi phénoménal qu’inattendu, et dont il a très vite reconnu les effets destructeurs, sous le nom de Mr Oizo, avant de revenir sous les projecteurs cette fois-ci avec son vrai nom et en tant que réalisateur, une première fois avec un court métrage remarqué, Non film, suivi par une comédie populaire Steak qui mêlait des gags très potaches à un regard particulier sur la société, au minimum amplificateur à défaut d’être réellement philosophique. Puis il y eut Rubber, qui l’inscrivait avec fracas dans la catégorie des réalisateurs qui osent l’imagination et interrogent le cinéma par des propositions qui aiment à jouer sur l’inattendu, et mettre sur le même plan le débile, le quotidien, et l’absurde révélateur. Dupieux interroge par ses obsessions, ses questions qui traversent ses films, et probablement son existence, qu’il s’agisse du mythe de la jeunesse éternelle, de l’ambition de réussir à tout prix, du rapport – débile- à l’argent, de l’idiotie de notre époque et de ses tendances, comme du bon ordre des choses, qu’il aime à inverser.
Il interroge aussi en tant que réalisateur dont on pressent qu’il a le talent pour évoquer avec finesse des sujets, raconter des histoires improbables avec des messages subliminaux disséminés intéressants, ce qui nous amène les critiques à le considérer parfois comme un auteur, mais qui, aussi, parce qu’il fait preuve d’une trivialité à toute épreuve, repose sur ses lauriers, nous semble avoir déjà montré ses limites, et qui de prometteur devient tout d’un coup surestimé, surclassé.
Quelle déception par exemple de voir à Cannes cette année son très gamin, indigeste et ô combien vide Fumer fait tousser, qui nous rappelle que Dupieux sait parfaitement jouer les imposteurs, et se contrefoutre de ceux qui l’attendent sur le terrain de l’intelligence. Déjà, Mandibules et le Daim semblaient bien davantage répéter un geste que confirmer le talent entrevu dans Wrong par exemple, qui très vite était contredit par la trivialité de Wrong Cops. Y aurait-il deux Dupieux, un qui se prend au sérieux, un qui ne se prend pas au sérieux ? Un qui se fout du sérieux, et un qui vise à être pris au sérieux ?
Nous n’étions pas loin de penser que le meilleur de Dupieux était, hélas, derrière lui, jusqu’à ce que notre curiosité nous pousse à découvrir Incroyable mais vrai. Un indice se trouvait déjà au casting, un nombre d’acteurs plutôt restreint – ce qui lui permet de se concentrer sur l’écriture et de ne pas multiplier, façon Wes Anderson, l’insertion au niveau de l’écriture de personnages creux pensés uniquement pour le gag, dont on connaît le talent dans des registres très différents (le tragique plutôt pour Léa Drucker, le virevoltant et l’espièglerie pour Anaïs Demoustier, le charisme Depardiesque pour Benoit Magimel, et le comique naturel (et canin) de Chabat. La présence de ce dernier augurait d’une réussite à la Réalité.
Le second indice intervient très vite dans le film. Pour une fois, Dupieux n’a pas composé sa musique lui même. Il fait appel à Jon Santo, et ce choix s’avérera payant de tout son long, tant il accompagne parfaitement le burlesque instauré par cette histoire dont il serait un crime de lèse majesté de dévoiler le moindre élément, tenez vous-en au synopsis, vous n’en serez que plus surpris à sa découverte.
Oui, Dupieux retrouve ici une imagination qui tient la route, nous intéresse, nous amuse et interroge. Quelque part, cet Incroyable mais vrai est une comédie de science-fiction. Sur la forme, si l’image, comme souvent chez Dupieux est dans l’ensemble quelconque, le film se sert avec un certain brio du medium cinéma. Ainsi, pour la seconde partie, Dupieux, juste après qu’on eut aperçu subrepticement Michel Hazavanicius a l’excellente idée de nous proposer une longue séquence muette, parfaitement rythmée, qui accélère le temps. Il propose ainsi une narration à la fois truculente et inventive, qui redynamise le récit et son intrigue là où sur d’autres films il avait pu manquer de ressort.
Pour une fois, il nous semble avoir trouvé la voie pour enrichir son film, lui apporter ce petit quelque chose qui venait à manquer même dans ses plus inventives propositions pour totalement convaincre. Incroyable mais vrai reprend le bon de Steak, et en écarte l’indigeste et creux, il n’est pas aussi absurde que Wrong, mais il ne s’enlise pas une fois son concept mis en place … Quelque part, il s’agit d’un film somme de son cinéma.
Drôle dans son ensemble, et de tout son long, léger sans être creux – son heure et quart passe avec plaisir-, Incroyable mais vrai, quoi qu’il puisse comporter quelques paresses d’écriture ou de réalisation (on pense au personnage d’Anais Demoustier, certes transformée, mais peu convaincant) nous permet de revoir notre jugement, non Dupieux n’a pas dit son dernier mot, il reste crédible en tant qu’auteur, et nous continuerons de le suivre malgré son impair Fumer fait tousser.