Ville européenne par excellence, Strasbourg proposait le 1er juin 2017, la projection de neuf courts métrages transfrontaliers. Cette manifestation – organisée par Vidéo Les Beaux Jours et le Goethe Institut en partenariat avec le Filmfest Dresde, Arte et le cinéma Star – faisait la part belle aux langues française et allemande, mais pas seulement, l’afghan, le serbe et l’hébreu étant aussi à l’honneur. Une Europe du cinéma aux frontières élargies donc qui permettait de découvrir les productions d’un regard placé sous le signe de la multiplicité.
Il y a d’abord une rencontre qui se tisse entre ces films. Celle de l’altérité, représentée ou non, mais toujours signifiée à l’écran. C’est un prisonnier palestinien que l’on transfère vers une prison israélienne (Le Transfert, Michael Grudsky) ; un doppelgänger maléfique (Elisa, Kristina Kean Shtubert) ; une animalité criminelle et violente (Hunt, Engin Kundag) ; un hypothétique terroriste que traquent, anxieux, deux soldats français (Un état d’urgence, Tarek Roehlinger) ; un groupe de quidams prêt à planifier un espace de jeu enfantin et imaginaire (Comme si, David Baudry) ; la vision sidérante d’un débarquement sur les côtes normandes (La récompense, Laurent Hirn) ; des voisins que l’on rencontre et que l’on (re)découvre (Bawan, Zouhair Chebbale) ; une amitié que l’on retrouve (Bon voyage, Sinisa Galic) ; ou une population en proie à la terreur et que l’on craint de voir pénétrer chez soi (Emily must wait, Christian Wittmoser).
Bénéfique, déceptive, parfois menaçante, la rencontre provoque le lien et invite au développement de réflexions formelles. Comment représenter ce rapport, entre le familier et l’étrange, la proximité et la rupture ? Peut-être en réfléchissant les frontières du cadre, une ambition que semble convoquer naturellement le format court.
Ce que le court métrage rend nécessaire, à l’instar de la nouvelle en littérature, c’est un retour à l’essentiel : un mouvement porté par un espace (le cadre) et une temporalité (le montage). Afin de souligner ces principes constitutifs, les procédés sont nombreux mais se rapportent tous à la production d’un dispositif singulier. Un angle de prise de vue inhabituel ( Emily must wait), un dédoublement spéculaire (Elisa), ou un découpage jouxtant la dilatation à l’elliptique (Hunt), un ensemble d’expériences sensibles repoussant les limites formelles de l’académisme.
Mais, au-delà du seul effet de style, le court invite à la concision dramatique et au resserrement spatio-temporel. Les fondamentaux apparaissent alors à travers la représentation d’un espace parfaitement encadré. C’est un trajet en voiture (Le transfert) ou en bus (Bon voyage), la répétition d’un déplacement (Comme si) ou d’une action (La promesse), un musée (Bawan), un appartement (Elisa ; Emily must wait) ou un quartier (État d’urgence).
La projection de ces neuf œuvres permettait par ailleurs de revenir sur un a priori tenace, voulant réduire le statut du court métrage à celui d’un premier film aux ambitions limitées et germinales. Sur ce point une mention doit être attribuée à deux films en particulier. Bawan d’abord qui, à partir d’une approche plastique du plan, développe un récit choral, entrelaçant les langues et les origines pour aboutir à une synthèse ouverte et hautement réflexive. Bon voyage ensuite qui parvient habilement à éviter l’écueil du film à thèse tout en ancrant son discours à l’intérieur d’un contexte national associant le drame intimiste au trauma historique.
Le 7 juin, une nouvelle sélection de courts métrages sera proposée au public strasbourgeois. Rendez-vous donc à la Maison de l’image pour découvrir des œuvres dont la durée limitée n’enlève rien à leur entièreté artistique.