Course-poursuite dans la neige, combat au corps à corps avec un ours, chute d’une falaise, autant d’éléments qui constituent la face visible de l’iceberg Revenant. « Blockbuster d’auteur« , « film intime et spectaculaire« , on s’en doute les étiquettes ne manqueront pas, mais aucune ne saura parfaitement retranscrire les effets et l’impact que parvient à susciter le chef-d’œuvre d’Alejandro Gonzalez Inarritu sur ses spectateurs. Il faut se tourner vers ses impressions, tâcher de partager l’intensité d’une émotion dont il ne restera que les traces. Entreprise périlleuse mais si belle : parvenir à toucher la justesse d’un film qui n’a de cesse de défier la raison. Pour notre plus grand plaisir.
Question de lien(s)
Hugh Glass (Leonardo DiCaprio), trappeur légendaire de l’histoire américaine est d’abord celui qui crée le lien. Ses multiples morts en font un fantôme, un voyageur passant sans cesse du passé au présent pour mieux consolider son destin. Son corps et son visage portent les marques d’une histoire qu’il ne peut tout à fait expier, et annonce un avenir fait de chair, de sang et de boue. La couleur bleutée confère au film une atmosphère crépusculaire. Entre chien et loup, entre l’aube et la nuit, le revenant du titre crie vengeance. La perte du fils succède à celle de l’épouse, êtres chéris que Glass retrouve dans ses rêves et ses souvenirs, songes empreints d’une mélancolie et d’une rage meurtrière. Face à lui, Fitzgerald (Tom Hardy) est l’homme de l’immédiat et de la réaction. Ombre fuyante, son regard halluciné ne parvient à décrypter l’horizon, l’élévation n’est pas pour lui. Reste la chute.
Progressivement, Glass dépassera le lien humain pour assurer celui de la nature et de l’animal. Son combat avec l’ours le transforme. Ses grognements et sa démarche reprennent ceux de son ancien adversaire. Son visage se confond avec celui d’un cheval, avant de pénétrer ses entrailles. Devenu totem, Glass incarne une violence toute naturelle. Entre le ciel et la terre, sa présence atteste d’un lien originel. Au milieu de la forêt, son corps se fond dans la forme des troncs. Glass est à la fois un homme et un animal, une image et une force en marche.
Beauté naturelle
Les contre-plongées et les panoramas sur les paysages de l’Amérique forcent le lien avec le cinéma de Terrence Malick. Même animisme et même langueur. On pourra aussi songer aux westerns du classicisme hollywoodien et en premier lieu à ceux qui surent faire de la nature un élément essentiel du drame cinématographique. Mais au-delà de ces références nationales, c’est la figure de Tarkovski qui vient immédiatement à l’esprit. Le rapport ténu entre humain et élément naturel forme une harmonie indescriptible. Les corps flottent à la surface de l’image, la composition se floute pour mieux dessiner les contours d’une figure idéelle. Les dialectes se chevauchent et n’ont plus aucune importance. Au milieu de la Nature, l’écriteau l’affirme : « Nous sommes tous des sauvages ».
Cet unanimisme transcende le conflit au profit du contemplatif. Le visage de Glass prend la valeur d’un arrêt sur image saisi par la beauté de son environnement. À l’instar du héros, le public se fige, reprend son souffle et s’élance dans les paysages enneigés du Nouveau Monde. The Revenant tient à la fois de l’esprit romantique et de la carnation naturaliste. L’esprit et la matière. Le Sublime et la Terreur. Antithétique en apparence, le film d’Inarritu formule la synthèse des contraires. Aventure surprenante. Majestueuses revenances.