Lauréat du « Grand Prix Janine Bazin » du Festival international du film de Belfort en 2013, Révolution Zendj (Thwara Zanj) configure un espace hanté par des voix et des visages. Étranges spectres que ceux de Tariq Teguia, réalisateur algérien qui signe ici son troisième long métrage. Figures de résistance dont le journaliste Ibn Battutâ (Fethi Gares) recherche les traces à travers un périple qui le mènera de Alger à Beyrouth. La caméra de Teguia file elle aussi, parcourt les paysages, chemine à travers des territoires qui sont autant d’escales vers un espace à (re)construire, toujours.
Préserver la trace
Révolution Zendj s’ouvre sur un écran éblouissant. Flash lumineux que perce une silhouette en mouvement. Programmatique, ce premier plan convoque un geste esthétique qui sera reconduit de séquence en séquence. Un espace, des corps, autant de possibilités que l’espoir de l’Homme peut en permettre. Les étudiants de Thessalonique répondent à Nahla (Diyanna Sabri), jeune palestinienne venue à Beyrouth pour réveiller la révolte de ses pères. Vus du ciel, les paysages ressemblent à des cartes sur lesquelles l’humanité aurait laissé les traces de son passage. Toiles abstraites marquées par les (dé)marches des luttes. Ces marques sont justement celles que Ibn cherche à resituer dans l’histoire des révolutions du passé qui n’attendent qu’à revenir. Entités flottantes, les spectres récusent les frontières et privilégient le lien spatio-temporel propice aux rencontres et aux découvertes. Le périple, bien sûr, est nécessaire. Caméra au poing ou portée à l’épaule, Tariq Teguia privilégie le choc et la rupture avant que le mouvement ne s’apaise dans le plan large et fixe, territoire des horizons infinis. Le dispositif du cinéaste fait de l’ambivalence sa beauté et sa force.
(In)quiétude des images
Les plans s’entrelacent, se chevauchent. Dans la galerie d’art, la projection cinématographique prend la mesure des révolutions du passé et de l’avenir. Le projecteur devient une arme de lutte. Entre ombre et lumière, le regard de Ibn traque un geste, un visage, des images. La révolte des Zendjs qui s’étendit du 8e au 9e siècle sous le Califat abbaside en Irak, est évoquée tandis que sur l’écran se projette l’ombre du personnage. Prisme, la surface plane est l’espace du passage. Beyrouth apparaît comme une ville-en-devenir. De loin, les bâtiments en travaux ressemblent à des ruines, les signes d’un présent toujours déterminé par les traces du passé et les promesses de l’avenir. Ibn se tient dans l’entre-deux, dans l’intervalle qui refuse l’immobilisme. Il faut habiter ces constructions indéfinies, traverser les cadres (dans le cadre), devenir reflet pour passer de l’autre côté de l’image : susciter les revenances qui nous permettront d’agir. Aller de l’avant sans oublier le passé, l’origine devenu héritage survit dans le visage dévoilé par le chèche retiré.
Les personnages habitent désormais l’espace d’un désert éblouissant. Retour du premier plan dont l’incertitude est évacuée par la présence effective de ses nouveaux occupants. Image pasolinienne, tant il est vrai que la lutte de Tariq Teguia tient d’une posture anthropologique. L’impression d’origine embrase le monde et son image redevenue surface pleine sur laquelle viendra bientôt s’inscrire le visage de Nahla. Le regard-caméra de la jeune femme est un rappel de notre condition première. Nous, aujourd’hui comme hier, corps battants. Persistance rime avec résistance.