Alors que les festivités cannoises ont pris fin, Le Mag Cinéma vous propose sa sélection américaine. Trois films, trois genres, des stars et quelques polémiques. Entre vaisseaux fantômes, désert afghan, et morts-vivants ; sur grand écran ou dans votre salon, le mois de juin commence bien.
Plaisir du (grand) spectacle
En 2003, Pirates des Caraïbes, long métrage en prises de vues réelles des studios Disney, provoqua un véritable raz-de-marée sur le box-office international. À l’origine du projet, une simple attraction du parc Disney World associant sensations fortes, animatronics et décors représentant l’univers de la piraterie. Édifier une franchise cinématographique à partir d’un canevas narratif aussi mince, le pari était risqué. Douze ans et quatre films plus tard, force est de constater que le défi à été relevé, et haut la main, la saga des Pirates ayant su s’attirer les faveurs conjointes du public et de la critique. Si la première trilogie menée de main de maître par le réalisateur Gore Verbinski reste aujourd’hui indépassable (en 2011, La Fontaine de Jouvence marquait un léger, et inévitable, essoufflement), la sortie cette semaine de La Vengeance de Salazar prouve que les pirates n’ont pas dit leur dernier mot. Loin s’en faut.
L’une des raisons de la popularité de la franchise tient sans nul doute à l’excellence de ses effets spéciaux. Par son gigantisme assumé, Pirates des Caraïbes retrouve le souffle épique des grands films d’aventure du classicisme (Le Pirate noir avec Douglas Fairbanks, Capitaine Blood ou L’Aigle des mers tous deux portés par le duo Michael Curtiz-Errol Flynn), tout en lorgnant du côté de l’humour des séries B des années cinquante (le génial Barbe-Noire le Pirate de Raoul Walsh). Plus de maquettes mais des images de synthèse qui, depuis le premier film, réactivent sans cesse le fantastique consubstantiel au cinéma. Images du passé venues hanter le présent de la projection, les corps décrits par la franchise sont marqués du sceau de la béance et de l’incomplétude. La figure de Salazar, interprété par Javier Bardem, convoque à nouveau cette dimension miraculeuse et cadavérique, tenant tout à la fois de la résurrection et de la putréfaction. L’acteur espagnol s’épanouit à l’intérieur de ce nouveau rôle de composition, le mutisme et l’étrangeté naturelle de son visage encore renforcés par le maquillage numérique. Face à lui, Johnny Depp, second critère de réussite de la franchise, fait oublier les critiques qui accompagnèrent ses dernières apparitions à l’écran.
Ayant investi de sa persona le caractère du célèbre pirate Jack Sparow, ce dernier permet à l’acteur de tourner en dérision les excès qui firent de lui la cible privilégiée des tabloïds. C’est dire si la relation entre la vedette et son personnage est fusionnelle. Marquée par les abus les plus divers, son interprétation oscille entre l’expressionnisme (jeu du regard) et le burlesque (art de la grimace et de la chorégraphie gestuelle). Animée d’un esprit simiesque, la mécanique se dérègle, provoquant situations absurdes et abracadabrantesques. Un excès parfaitement géré par Depp mais qui tire parfois vers le trop-plein romanesque (voir le happy-end exponentiel). Conçu pour la 3D, le film travaille sa profondeur de champ tout en réfléchissant la verticalité de ses compositions. On se souviendra longtemps de l’attaque des requins géants ou de cette traversée à l’intérieur des entrailles de l’océan voyant Jack et ses compagnons partir à la recherche du trident de Poséidon. La Vengeance de Salazar navigue en définitive entre deux pôles, les mystères des fonds marins et la beauté des lumières célestes.
Soleil et débat
Comme souvent, les premiers jours du Festival de Cannes furent agités par une petite polémique concernant sa sélection officielle. En cause : la société de production Netflix, spécialisée dans la diffusion sur Internet, et dont plusieurs films étaient présentés en compétition. La question était donc de savoir si le Festival pouvait décemment proposer à son public des œuvres qui ne connaîtraient aucune existence en salles. Loin de nous l’idée de résoudre ce débat, remarquons simplement qu’aujourd’hui voir un film regroupe un ensemble de réalités différentes, ce qui n’enlève rien à l’aura de la salle et semble même en renforcer le prestige. Plus intéressant serait d’interroger les qualités réelles des productions Netflix. Car si la société s’est définitivement imposée dans le monde des séries (House of Cards en étant l’exemple le plus brillant), dans le domaine du cinéma, la chose reste encore à prouver. À bien des égards les œuvres labellisées Netflix ressemblent à s’y méprendre à des téléfilms de luxe : scénarii alléchants (souvent inspirés de faits réels, voir l’importante propension de biopics proposée par le catalogue de la société) portés par de grandes vedettes et par une mise en scène… peu inspirée. Dernier exemple en date : War Machine de David Michod dont les spectateurs pourront découvrir la bande-annonce en salles (tiens, tiens). On retrouve donc ici la formule habituelle : un récit intéressant et une star (Brad Pitt) pour un résultat décevant.
Au film de guerre critique et éclairé se substitue rapidement le film à thèse moralisateur et ennuyeux. Exposée dès les premières quinze minutes, la problématique ne fait que se répéter sans jamais évoluer. Le conflit afghan comme nouveau bourbier de l’Amérique, d’accord ; les soldats présentés comme des incapables naïfs et égotiques, un peu facile. Mais après ? Là où Brian de Palma (Redacted) et Ridley Scott (Mensonges d’État) avaient su concilier leur discours politique à de nouveaux enjeux audio-visuels, War Machine n’offre aucune forme apte à discuter son fond, défaut qui était déjà celui de The Discovery (Charlie McDowell, 2017) dont le récit science-fictionnel ne profitait d’aucune inventivité visuelle.
Reste donc l’interprétation de Brad Pitt qui prouve à nouveau que son talent ne s’épanouit jamais mieux que lorsque son rôle lui propose une dimension comique à exploiter. Sa composition du général Glen McMahon est celle d’un caricaturiste ou d’un animateur de cartoons. Buste et mâchoire en avant, les muscles crispés, l’œil droit constamment plissé, son personnage, à l’instar du Coyote de Tex Avery, suscite le rire et la pitié. Pitt affirme, s’il le fallait encore, qu’avant d’être une vedette, il demeure un acteur de premier plan.
Horreur sensible
On clôture notre sélection avec un film d’horreur assez original pour être mentionné ici. Réalisé par le norvégien André Ovredal (The Troll Hunter), The Jane Doe Identity permet d’abord de retrouver Emile Hirsch sur le devant de la scène après quelques années d’errance artistique. Le film surprend ensuite par son rejet assumé de la grande forme horrifique contemporaine. Narrant les mésaventures de deux médecins légistes enfermés dans une morgue et en prise avec des forces maléfiques, The Jane Doe Identity dilate son rythme tout en reprenant à son compte certains effets plus traditionnels (du dispositif spéculaire à l’emploi du hors-champ sonore).
Le caractère intimiste travaille autant le cadre spatio-temporel du film (le huis-clos) que le développement de l’intrigue voyant ses personnages rattrapés par un passé traumatique. Avec Get Out (Jordan Peele, 2017), The Jane Doe Identity assure le retour d’un cinéma d’horreur réflexif et hautement sensible.