L’incomprise d’Asia Argento -présenté dans la sélection Un certain Regard à Cannes- est le meilleur film que nous ayons vu au Festival en 2014, toutes catégories confondues, avec le fameux Mommy de Xavier Dolan.
Le roi Dario est mort -cinématographiquement parlant, vive la Reine !
Asia Argento, la réalisatrice et Luigi Comencini
Le film est la parfaite fusion des deux précédentes œuvres de la fille de Dario Argento: autofiction –Scarlett Diva- et enfance saccagée –Le livre de Jérémie. Mais il est meilleur que ce dernier. Le titre est bien sûr choisi en référence au chef-d’oeuvre de Comencini L’incompris. Asia Argento semble entretenir une relation ambivalente avec cette référence : lors de son passage à Cannes, elle disait vouloir se différencier de L’incompris. Plus récemment, elle a confié au magazine Première que le film l’avait tant marquée enfant qu’il a fallu qu’elle fasse L’incomprise.
Dix ans ce sont écoulés entre Le livre de Jérémie et L’incomprise. C’est le troisième film d‘Asia Argento en tant que réalisatrice. Activité à laquelle elle souhaite se consacrer désormais pour diverses raisons: la pauvreté des rôles qui lui sont proposés, le fait qu’elle ait toujours aspiré à créer, etc…
Asia Argento, l’auteur, l’incomprise
Étonnamment elle tenait déjà les mêmes propos à l’âge de 22 ans, se revendiquant auteure avant tout, ayant publié dans l’enfance textes et poésies, puis un livre à l’âge adulte : Je t’aime Kirk.
Pour ceux qui ont lu Je t’aime Kirk, ou pour ceux qui ont lu beaucoup d ‘interviews d’Asia, cette semi-autobiographie d’enfance abîmée ne sera pas vraiment une surprise. Entre des parents tous deux artistes, imbus d’eux-même, très rock’n’roll, et des sœurs plus choyées qu’elle, le tout baigné dans un atmosphère un rien chaotique, la petite Aria peine à trouver sa place, trop intelligente et sensible, trop décalée aussi, pour son âge. Le cercle des enfants de son âge n’est pas forcément plus bienveillant : une amitié exclusive déçue, avec la souffrance qui en découle -et le sadisme désinhibé, car non canalisé par la société, qu’ont bien souvent les enfants. La petite fille fait et fera tout pour gagner un peu de l’attention et de l’affection des siens. Nous ne sommes pas dans l’enfance la plus horrible du monde –Le livre de Jérémie montrait ce type de souffrance- mais il y’a une réelle fêlure et une nécessité, pour la réalisatrice Asia de nous communiquer le vécu de la petite Aria -le nom de l’héroïne dans le film. Asia Argento choisit ici l’auto-fiction, comme elle l’avait déjà fait pour Scarlett Diva (l’auto-fiction) – où elle racontait/transfigurait entre autres ses relations avec un producteur obsédé (Harvey Weinstein), et quelques réalisateurs non cités …
Une direction d’acteurs subtile
Celle qui incarne Aria, la très jeune actrice, Guilia Salerno, est touchante de vérité, d’autant qu’elle est très bien dirigée. Tout comme l’est le reste des jeunes enfants et adolescents dans le casting. Asia Argento possède une sorte de don pour cela, comme en attestait déjà sa direction bienveillante et subtile du jeune Jimmy Bennet dans Le livre de Jérémie, jeune acteur qu’elle avait par la suite coaché pour Hostage (2005), car elle était la seule à savoir si bien le faire.
La beauté est là : celle de la photographie -ces couleurs vives!- de la mise en scène, des musiques et des acteurs eux-même -ah, Gabriel Garko ! Le film est outré et outrageant, à l’image de son auteure, autant qu’il est drôle, pour les mêmes raisons.
Ce qui frappe, entre autre, c’est l’incroyable utilisation de Charlotte Gainsbourg. Elle incarne parfaitement la célèbre mère d’Asia, Daria Nicolodiau, au point qu’on oublie qu’il s’agit de Charlotte Gainsbourg, pour la première fois -car même dans les films de Lars Von Trier, on l’identifie, on la reconnaît. Le fait qu’elle s’exprime dans une langue qui lui est nouvelle a-t-il joué ? Enfin C.Gainsbourg n’est plus elle (la fille de Jane et Serge qui a grandi sous nos yeux qui avait toujours la même coiffure et allure ou presque depuis Merci la vie ou La petite voleuse). Ici, nous avons un personnage de mère vénéneux, fou, provocateur, sauvage, Enfin on oublie l’actrice fille-de iconique pour ne voir qu’un personnage frappant ! Outre la langue, c’est ce regard italien, vierge de toute mythologie française, qui nous prodigue cette jouissance. Asia était pourtant fan de Charlotte depuis… L’effrontée – pour l’anecdote elle volait les polaroids de C.Gainsbourg sur le tournage du téléfilm Les Misérables, dans la salle de maquillage.
Comme Asia Argento l’a écrit dans son livre Je t’aime Kirk, peut-être, maintenant qu’elle vous a raconté tout ça, vous la comprendrez ne serait-ce qu’un tout petit peu mieux.
Bonus : Une photo de la petite Asia (s à la place du r cette fois) :