Monsieur Sim n’a aucun intérêt. C’est du moins ce qu’il pense de lui-même. Sa femme l’a quitté, son boulot l’a quitté et lorsqu’il part voir son père au fin fond de l’Italie, celui-ci ne prend même pas le temps de déjeuner avec lui. C’est alors qu’il reçoit une proposition inattendue : traverser la France pour vendre des brosses à dents qui vont « révolutionner l’hygiène bucco-dentaire ». Il en profite pour revoir les visages de son enfance, son premier amour, ainsi que sa fille et faire d’étonnantes découvertes qui vont le révéler à lui-même.
Michel Leclerc et Baya Kasmi nous avaient séduits avec le très réussi Le nom des gens, tout à la fois drôle, original et teinté d’une critique sociale acide. La réalisation suivante de Michel Leclerc, Télé-gaucho, lui permettait de revenir à ses années Télé-bocal, mais nous avait laissé très franchement sur notre faim; quelques bonnes idées ne suffisant pas à constituer un ensemble cohérent, retranscrivant ceci-dit l’aspect amateur du média avec exactitude.
La trajectoire de Baya Kasmi fut à l’inverse marquée par sa contribution à l’écriture du scénario du très bon Hippocrate, à la dramaturgie très finement soignée, porté par les très bonnes interprétations des deux acteurs principaux, Reda Kateb et Vincent Lacoste – que l’on retrouve ici au casting, tout comme Mathieu Amalric dans un rôle secondaire–, mais aussi par le phénomène « immersion dans un monde professionnel plus souvent fantasmé que retranscrit ».
Nous ne savions au juste qu’attendre de La vie très privée de Monsieur Sim, à la bande annonce singulière, qui laisse penser à une oeuvre dans la continuité de Le nom des gens, que ce soit pour son regard gentiment critique envers le monde contemporain, ses aberrations consuméristes, comme pour le regard tendre envers des personnages usuellement laissés pour compte, voire méprisés. On pense également rapidement que le film comportera un souffle comique comparable.
Un élément nous intrigue cependant, le choix de l’interprète principal, Jean-Pierre Bacri, dont le talent comique n’est plus à démontrer, de son caractère râleur à ses passions télévisuelles – Des chiffres et des lettres dans un air de famille -. Mine de rien, Jean-Pierre Bacri est devenu une figure médiatique plus même qu’un acteur, un personnage à part entière comme pouvait l’être avant lui Jean Yann. La frontière entre l’acteur et l’homme semble pour lui bien plus poreuse que pour d’autres, au point qu’on ne l’imaginait plus dans une composition éloignée de celle qui lui a valu ses principaux succès, aux côtés d’ Agnès Jaoui et Alain Resnais.
Alors on se prend à douter, comme on s’interrogerait si on venait à nous servir une tarte fine aux pommes au piment d’espelette. Les ingrédients sont assurément très bons, mais qu’en est-il du mélange ?
Ce doute, nous le lèverons très rapidement. Jean-Pierre Bacri est tout bonnement excellent, très juste, et il prouve, si besoin en était, qu’il sait sourire ! Ce petit détail n’en est absolument pas un, car il est celui qui permet l’osmose entre les univers de Bacri et de Leclerc/Kasmi, finalement très proches dans leurs fondements.
Pour être plus exact, ce doute laisse rapidement la place à une autre interrogation, plus perturbante encore: et si le comique, quoi qu’il fonctionnât, était cette fois-ci au second plan ? Si l’inspiration principale, le cœur du film était ailleurs ?
Le développement nous apportera ses lumières. Le procédé revêt surtout d’une ambition littéraire et recourt en premier lieu à une mise en abîme aussi subtile que consistante. Cette matière fait de La vie très privée de monsieur Sim un pendant joyeux et lunaire du Feu Follet de Louis Malle, par exemple. Emprunt d’une mélancolie lancinante, tout le mystère réside dans une apparente contradiction. D’un côté, un homme simple, aux aspirations simples, ouvert sur les autres, et optimiste. Un homme assurément bon. De l’autre, un sentiment complexe, de grand vide autour de lui, d’incapacité à prendre de la hauteur, ou de prendre les bonnes décisions. Une métaphore est très justement filée, celle de l’homme qui ne se sent pas capable, refuse même de l’être, à qui le sort donne une chance qu’il ne sait saisir.
Cette partie du film est particulièrement bien sentie. Michel Leclerc avoue que la lecture de la vie très privée de Monsieur Sim, roman éponyme de Jonathan Coe, dont il fait ici l’adaptation, avait été pour lui un révélateur vis à vis de ce qu’il traversait lui même. Un sentiment de vérité s’en dégage indéniablement.
Une autre thématique forte sera abordée également, sous un angle cette fois-ci plus direct, moins subtil. Elle constituera la chute du film, qui, pour notre part, nous semble finalement, plus secondaire.
Troublante et fine, cette Vie très privée de Monsieur Sim méritait bien quelques coups de projecteurs !