Jérem s’installe dans la maison de sa mémé pour y composer son premier disque. Il y fait la rencontre de So, mystérieuse enquêtrice pour le compte de la start-up Digital Cool. Elle le persuade de prendre à l’essai Yves, un réfrigérateur intelligent, censé lui simplifier la vie…
Yves faisait cette année la clôture de la Quinzaine des réalisateurs, et à cette occasion y a reçu un accueil chaleureux. Était-ce une coïncidence qu’une autre comédie française particulièrement déjantée (Le Daim) ait fait l’ouverture de la Quinzaine, nous posons la question et sommes de facto tenté de dresser un parallèle entre les deux films dont les synopsis invitent inéluctablement aux défis.
En effet, dans un cas, si l’on vous dit que vous allez voir un film dont le ressort dramatique est basé sur l’histoire d’amour entre Jean Dujardin, en errance, et sa veste en daim, et dans l’autre sur une histoire d’amour entre un frigo connecté et un jeune rappeur looser, interprété par William Lebghil, vous êtes légitimement en droit de vous interroger sur le bien fondé de ces propositions, sur la capacité des scénaristes à tirer les fils sur la durée, sans trop de répétitions, pour tout à la fois divertir, interroger et surtout ne pas lasser. Dans un cas comme dans l’autre, vous vous dîtes que l’absurde sera le ressort comique le plus pregnant. S’agissant du Daim, le simple fait que le film soit signé de Quentin Dupieux le garantit, pour Yves, la présence de Philippe Katerine au générique semble aussi allé dans ce sens.
Dans les deux films, les personnages secondaires vont venir troubler la trame principale narrative, pour l’enrichir, et presque déplacé le sujet. Adèle Haenel, décidément très en réussite dans les comédies, où ses mimiques, ses silences, et son phrasé improbable font mouche, sauve Le Daim d’un chausse trappe dans lequel il semble passé la première demie heure s’enfermer, au point qu’elle vient voler la vedette à un Jean Dujardin pourtant très honnête, dans une composition qui utilise (et repose sur) les contradictions que l’acteur peut parfois dégager, un mélange de classe, de grande confiance en soi, et, de façon antagonique, d’air hébété, fou fou, incontrôlable et hautement naïf, dont l’acteur se faisait fort dans ses œuvres de jeunesse (Brice de Nice, OSS, les Nous c’est nous, Chouchou et loulou, …) avant de connaître la célébrité internationale et la respectabilité avec The Artist [ainsi que le fit Michel Hazavanicius également].
L’introduction de ce personnage féminin très improbable, et plus précisément, son évolution très irrationnelle, contribue hautement au renouvellement tout à la fois de l’intrigue principale et du comique, ouvrant de nouveaux possibles, et permettant au spectateur de profiter sans langueur de l’originalité et de l’inventivité de Dupieux.
Yves, quant à lui, et à l’instar du Daim cherche son second souffle, et le trouve, au travers de son personnage secondaire féminin, dont on vient à se demander s’il n’est pas principal tant le film semble rapidement stagner derrière son concept finalement emprisonnant. Le personnage très honnêtement interprété par Doria Tillier sera l’objet de toutes les convoitises, de celle du jeune rappeur, mais aussi et surtout de son double intellectuel, le frigo connecté.
A ces instants du film, nous pensons, d’un côté, que Philippe Katerine tiendra une place de choix, que ce soit par la force de son personnage, par l’image personnelle qu’il cultive en se jouant des décalages, par la qualité de son interprétation, mais aussi par ses propositions musicales, de l’autre, que Dupieux saura déplacer encore de façon plus improbable son récit pour verser dans l’absurde le plus total, et le plus drôle.
Dans un cas, comme dans l’autre, nous nous trompons, les films prendront des directions certes imprévisibles, mais à notre sens, qui nuiront à leur qualité.
L’un comme l’autre vont faire le choix de raccrocher à une forme de cinéma bien établie, et à en épouser les codes. Le serial killer pour Dupieux, la comédie romantique pour Forgeard.
Si l’effet fonctionne de prime abord pour Le Daim, il s’estompe au fur et à mesure qu’il prend la place normalement dévolue à l’absurde, et finit par produire un contre effet. Comme souvent avec Dupieux, il nous manquera donc ce petit quelque chose qui nous ferait dire que l’on adore de bout en bout, qui nous permettrait de transformer les instants de génie en génie cinématographique.
Pour Yves, le constat est autrement plus navrant. Si Benoit Forgeard a, très humblement, et c’est tout à son honneur, fait appel à de nombreux conseillers pour écrire son scénario, force est de constater que le choix de raccrocher, pardon d’épouser la forme comédie romantique s’avère tout simplement ruinant.
Un autre point différenciant entre les deux films, qui nous fait conseiller Le Daim et déconseiller Yves, est l’humour en lui même. Partant d’une idée improbable, Dupieux arrive à provoquer des situations très ubuesques, auxquelles on raccroche d’autant plus aisément qu’elles interrogent par leur part de vérité. Dit autrement, Dupieux dispose d’un sens de l’observation hors du commun: le regard qu’il jette sur la marche du monde et son rendu à l’écran, s’il n’atteint pas les cimes atteintes par les Monthy Pythons, est assurément drôle.
Benoit Forgeard lui aussi, en sa qualité d’artiste contemporain, jouît également d’un sens de l’observation intéressant, et son sujet en atteste. Malheureusement, les ressorts comiques sont à chercher principalement ailleurs, dans une forme de contraste appuyée entre les personnages, dans des situations supposées incongrues, dans des rebondissements empruntés au genre – le héros romantique qui finira par séduire sa belle-, mais aussi, et cela s’avère bien trop souvent le cas dans les comédies françaises industrielles de bas rang, par une trivialité de mauvais goût – citons notamment l’écriture du personnage de Philippe Katerine qui fit demander à un spectateur assistant à l’avant première à Katerine pourquoi il acceptait de jouer dans des films où son personnage ne sert à rien !
Cela est d’autant plus frustrant que, lorsque nous rencontrons Benoît Forgeard, l’impression qu’il nous laisse -outre son caractère bienveillant et sympathique – est bien celle que le film laisse entrevoir par intermittence, celle d’un homme intelligent, sincère dans son approche, et réellement interrogatif sur le monde qu’il observe, dont il note le caractère absurde – mais aussi dangereux. Quelle dommage donc de ne pas lui avoir conseillé de donner bien davantage libre court à sa fantaisie, quelle dommage d’avoir retenu une forme consensuelle qui permette au plus grand nombre de raccrocher à la réflexion qui faisait son sujet, ou de mettre en retrait l’univers personnel du réalisateur.
Quel dommage également de ne pas voir fait le choix d’étirer la réflexion sociologique, la science fiction, notamment le concept de double robotique plus intelligent que son héros, volontairement et gentiment ralenti du ciboulot ! Les perspectives, à ce niveau, par leurs caractères infinis mais aussi miroir, auraient de quoi concurrencer n’importe quel twist narratif sur le registre de l’effet cérébral. Ainsi également du très intéressant concept de transformer la relation amoureuse entre deux protagonistes principaux en un triolisme entre la muse et les deux variantes (plus intelligente et plus frustre) d’un même être, finalement peu exploré, quand bien même le scénario a la bonne idée de renforcer la composante émotionnelle et sentimentale du robot – effet par ailleurs parfaitement gâché par le caractère lubrique qui vient prendre le dessus.
Quel dommage enfin que Benoit Forgeard n’ait pas osé ou eu le temps d’impliquer plus fortement Katerine. Comme en atteste le clip Carrément Rien à branler ci dessous, user de sa fantaisie musicale, aurait sans nul conteste fait écho (et non pas ombre) aux univers musicaux par ailleurs très bons instaurés par le très éclectique Bertrand Burgalat – qui s’est fait plaisir, avec réussite, à singer, les sons eurovisions-, mais aussi les compositions rap – elles aussi très réussies-, de MiM.
Pour toutes ses raisons, Yves nous frustre plus encore que Le Daim (que l’on aime mais qui n’est pas encore le chef d’oeuvre dont on pense Dupieux capable, avec plus de consistance)