Alain, la trentaine, est professeur d’histoire et mène avec Sylvie une vie bien rangée. A Saint-Germain-des-Prés, il rencontre Julie, une fille fantasque et très libre, qui semble vivre de ses charmes. C’est le coup de foudre. Peu de temps après, Alain quitte Sylvie, et s’installe chez Julie. L’insouciance le gagne : souvent absent à ses cours, il finit par ne plus aller travailler. Pour les vacances, Julie décide d’aller avec Alain à New York. Là, en pleine vie de bohème, elle lui annonce qu’elle est enceinte. De retour à Paris, Alain a beaucoup changé ; il boit, se drogue, et va de petits boulots en petits boulots. L’arrivée de l’enfant change également Julie, qui devient plus sérieuse et travaille. A la suite d’une querelle, Alain part ; il s’installe chez Jacky, un copain. Julie, apprenant son état de délabrement par une amie, part à sa recherche.
Anna Karina, comme tout à chacun, nous la connaissons principalement, en tant qu’actrice égérie de Godard, – mais aussi interprète de Visconti, Fassbinder ou Cukor– en tant que chanteuse (notamment des compostions de Gainsbourg) et dans une moindre mesure en tant que femme, compagne pendant une période de Godard l’homme. Quoi que le « leader » de la nouvelle vague l’ait mis en lumière, par bien des aspects, il l’a également éclipsée. C’est ainsi que nous découvrons – pardonnez-nous ce manque, le film est resté assez confidentiel – qu’Anna Karina a réalisé en 1973 un film, Vivre ensemble, qui ressort ce mercredi en salle en version restaurée et qui fut sélectionné à la semaine de la critique au Festival de Cannes en 1973.
Bien entendu, il nous est difficile de ne pas faire un rapprochement avec la nouvelle vague, de ne pas vouloir par un raccourci rapide inscrire directement Anna Karina aux côtés d’Agnès Varda dans les rangs des réalisatrices de la nouvelle vague. Pour autant les premières images d’emblée interrogent. Anna Karina, campe une jeune femme semble-t-il très libérée, mais également en manque d’affection. Elle accède aux avances d’un professeur d’histoire dont le style de vie en apparence semble très aux antipodes de son propre mode de vie. Ces premières scènes donnent une première note, une place importante est accordée à la bande originale, mi triste mi joyeuse. Les images, les sons et les effets de montage ne sont pas toujours des plus heureux, on note ainsi quelques maladresses qui semblent pourtant assumées; elles visent manifestement à insuffler une part d’improvisation, une part de réel dans la fiction. Le style n’emprunte que très peu à celui de Godard, Anna Karina elle même semble très différente, dans son jeu, dans son allure (elle est ici blonde), et quant aux dialogues qu’elle se réserve.
En seulement quatre semaines et avec bien peu de moyens, elle esquisse le récit de deux ans d’intimité. Le film se veut la chronique d’une époque, celle de la guerre du Viêt-Nam et du
début des années 1970, mais aussi un récit personnel, inspiré des expériences passées d’Anna Karina.
Parmi ces expériences, citons les ballades dans les quartiers underground de New York, les flâneries dans le Paris bohème, du côté du Quartier latin. Les premières maladresses passées, le film trouve son ton et commence à interroger. Très rapidement, il nous est donné à voir tout le contraire d’une comédie romantique, tout le contraire de ce que l’on peut s’imaginer quand un homme parfaitement inséré dans la société, qui y a trouvé sa place, s’éprend d’une jeune femme bien plus en marge, se donne pour projet de l’aimer, de vivre avec elle, et de l’aider.
Une transformation va s’opérer pour chacun des personnages, empruntant presque à l’autre, et dans une logique très inattendue. La sève principale de Vivre Ensemble réside dans ce regard doux amer, qui tait presque son intention. Faut-il y voir un souvenir nostalgique, qui retiendrait le meilleur, ou bien au contraire une critique véhémente d’un mode de vie « bab » qui ne retiendrait que le pire ? Faut-il y voir la difficulté de vivre ensemble, le regret de ne pas y parvenir, ou bien au contraire, un message d’espoir, d’émancipation, de construction dans la difficulté. Plus le récit avance, plus le style d’Anna Karina réalisatrice s’affirme, plus nous distinguons une patte.
La génèse du projet ne fut pas simple. N’osant présenter son texte sous son vrai nom, à une époque où les femmes actrices ne font pas de films, Anna Karina s’est d’abord inventée des noms de plume d’hommes aux consonances étrangères, pensant que l’histoire n’était pas tout à fait « française ». Ceci renvoie à notre impression première de ne pas voir un film qui s’inscrirait dans la nouvelle vague, mais peut être effectivement plus un film d’inspiration étrangère.
Anna Karina ne trouvera que peu de soutien autour d’elle à ce stade du projet. Elle décide alors de monter sa propre boîte de production, Raska et finit par trouver un coproducteur en la personne de René Pignères. Le film fut tourné en Super 16 mm dans le triplex d’Anna Karina transformé pour l’occasion en studio, le salon faisant office de plateau et la cuisine de régie. Les scènes tournées à New York l’ont été en cachette, sans autorisation.