Bette Gordon est l’auteure d’une poignée de films tout autant féministes qu’appartenant à une veine qui recèle de nombreux films majeurs, celle du cinéma américain indépendant des années 1970 et 1980. Des quelques longs-métrages réalisés par cette cinéaste, Variety (1983) reste très certainement le plus emblématique. Aujourd’hui, trente-huit ans après sa réalisation, Variety bénéficie d’une nouvelle distribution en version restaurée. L’occasion est donc belle de revoir dans d’excellentes conditions ce film. Il sera plus probablement question de découverte de cet opus dont la distribution en salles resta confidentielle malgré une sélection au festival de Cannes de 1984 pour concourir à la caméra d’or. Celle-ci fut finalement remportée par Jim Jarmusch pour Stranger than paradise, autre figure incontournable du cinéma américain indépendant.
New York, 1983. Christine cherche désespérément du travail et finit par se faire engager comme ouvreuse dans un cinéma porno de Times Square. Elle devient peu à peu obsédée par les sons et les images des films qui l’entourent. Puis, fascinée par un des spectateurs, un homme d’affaire du nom de Louie, Christine commence à le suivre…
Les thèmes de prédilection de Bette Gordon résident dans la violence, la sexualité et le désir. Ici, le regard porté et plus encore l’observation orchestrée sont conjugués au féminin. Variety, premier long-métrage de l’une des pionnières du cinéma américain indépendant et du mouvement « No wave », fut qualifié de « Taxi driver au féminin, obscène, perturbant et explosif » par le magazine Time Out. Un éloge qui joua en défaveur du film lors de sa sortie en salle.
Variety oscille entre voyeurisme et exhibitionnisme avec une délicatesse constante (indices pornographiques visuels ou audio éparpillés). La réalisatrice joue de la dualité entre voir et être vu en jouant notamment sur la composition de cadres dans le cadre. Là où le film surprend encore davantage est dans le choix du protagoniste principal. Celui-ci appartient au sexe dit faible et est placé du côté du voyeur alors que le scénario appelait volontiers à une caractérisation masculine. En somme, Gordon propose une sorte d’inversion de genres particulièrement audacieuse et originale si on replace Variety dans son époque.
Christine, l’héroïne mise en scène, dégote un boulot de caissière d’un cinéma porno dont le nom affiché en devanture est repris pour titrer le film. Sandy McLeod incarne Christine. L’actrice est la « blonde hitchcockienne » recherchée par la réalisatrice. Pour notre part, nous avons plutôt vu dans McLeod une Gena Rowlands en version colorisée.
Façon Samuel Fuller ou Jules Dassin, Gordon filme un New-York nocturne. Les lumières de la ville éclairent le regard quasi inquisiteur de la cinéaste sur la microsphère masculine de la salle de cinéma hôte. Christine, d’abord très étrangère à ce milieu, va progressivement trouver une place dans cet univers des plus masculins. La femme-objet attendue se fait actrice.
Dans son entame, Variety emprunte aux films noirs avant de basculer du côté des films de filature et de perdre en intensité. Ici, la caissière du Variety se mue en détective pour suivre en filature un des clients du cinéma interprété par Richard M. Davidson. Un rôle masculin, synonyme de crime et de corruption, pour lequel Michel Piccoli fut un temps pressenti. La femme-objet pressentie domine là encore l’action.
Enfin, on note dans la dernière partie du film un changement dans le visuel et l’utilisation de la lumière. Certains plans se voient ainsi nimbés dans une esthétisation forte dont les effets sont des plus pertinents.