Dans un bar de la ville, Kathy, jeune femme au tempérament bien trempé, croise Benny, qui vient d’intégrer la bande de motards des Vandals, et tombe aussitôt sous son charme. À l’image du pays tout entier, le club, dirigé par l’énigmatique Johnny, évolue peu à peu. Alors que les motards accueillaient tous ceux qui avaient du mal à trouver leur place dans la société, les Vandals deviennent une bande de voyous sans vergogne.
En 1968, le journaliste américain Danny Lyon publie The Bikeriders un livre de photos et d’entretiens consacrés au Chicago Outlaws Motorcycle Club, un club de motards qu’il a suivi durant quatre ans. Plus de cinquante ans plus tard, le réalisateur Jeff Nichols adapte l’ouvrage en un film au même nom porté par Austin Butler, Tom Hardy et Jodie Comer.
Si Nichols a troqué le nom initial du club contre The Vandals, l’intention reste la même : faire état d’une époque, d’un mode de vie, sans jugement ni glamourisation et en évitant l’éternelle rengaine du “c’était mieux avant”.
À ce sujet, le scénario apparaît comme un peu faible. En effet, le réalisateur ne développe pas l’aspect documentaire de son film, alors que, rappelons le, The Bikeriders n’est pas un roman mais un ouvrage de photo journalisme, au plus près des faits donc. Pas de « caméra embarquée », des plans lissés, un esthétisme particulièrement léché, The Bikeriders est bien loin du livre dont il est adapté. Le rôle du journaliste interprété par Mike Faist manque également de développement avec des interventions peu intéressantes alors même qu’elles représentent les racines de l’intrigue.
Malgré cela, Nichols réussit tout de même à emporter le spectateur à bord de sa bécane scénaristique pour sillonner le Sud-Est des Etats-Unis et rencontrer ses protagonistes marqués par leur dualité.
Qui sont ces hommes membres des Vandals ? Parfois, des héros, dignes héritiers des cow-boys américains qui sèment la terreur dans chaque ville qu’ils traversent lorsque le bruit des grosses cylindrées terrifient les habitants. Mais une fois descendus de leurs engins, ils passent le plus clair de leur temps au bar et organisent des “piques-niques” où la profusion d’alcool, de violence et de bêtise leur ôtent tout semblant de dignité chevaleresque.
Ces ratés, recalés de l’armée, virés de leurs emplois, marginaux de la première heure, subissent l’exclusion de la société mais, pour leur propre équilibre, feignent de l’avoir choisi. Ils s’épanouissent alors dans des clubs où les règles instaurées sont en réalité bien plus archaïques et enfermantes que celles qu’ils rejettent. Ainsi, Benny, personnage principal, véritable tête brûlée au visage enfantin, s’amuse à griller sept feu rouges en étant poursuivi par la police, mais se tait lorsque Johnny, le chef du club, sorte de gros bêta attachant, l’ordonne.
Nichols dresse d’ailleurs un portrait captivant de ces deux personnages. Fabuleusement interprété par Austin Butler et Tom Hardy, les motards font partie d’un triangle amoureux avec Kathy, la femme de Benny. “Aucun de nous n’aura pu l’avoir”, ces dernières paroles de la jeune femme au chef des Vandals, synthétisent parfaitement leur relation.
L’amitié-amoureuse entre les deux hommes frappe dans certaines scènes, notamment lorsque Johnny demande à Benny d’être son successeur et où le contrechamp habilement effectué suggère un baiser. L’histoire entre Kathy et son mari demeure, quant à elle, plus difficile à croire. Mariés seulement cinq semaines après leur rencontre, nous nous attendions à voir – et peut-être même à ressentir – à l’écran une passion électrique, une romance ardente. En lieu et place: de très brèves scènes peu développées, où la distance et l’absence de parole semblent davantage de mise.
Pour autant Kathy n’est pas reléguée au rang de personnage secondaire. Jodie Comer, son interprète a d’ailleurs confié lors d’une interview pour Trois Couleurs avoir été séduite par la capacité de storytelling et la force intérieure de la jeune femme. Voix-off durant tout le long-métrage, elle surprend effectivement avec son accent à couper au couteau, son air très détaché, sa fausse naïveté et sa lucidité implacable. Une femme forte donc, à qu’il manque néanmoins d’autres sujets de conversation qu’uniquement son mari ou le club auquel il appartient.
En outre, le film de Nichols trouve sa sensibilité et sa maîtrise à travers le regard honnête et nostalgique de son réalisateur. Car The Bikeriders signe la fin d’un mythe, celui des motards adeptes de bières remplacés, dans les années 70, par ceux amateurs de drogues. À l’image même du pays à ce moment-là, le film montre le glissement puis la fracture entre deux générations qui ne se comprennent plus, n’ont plus les mêmes visions, notions ou envies. Les héros sont alors dépassés, s’exilent, meurent, mais ne résistent pas à la roue qui les écrase, celle du temps qui passe.
Le long-métrage de Nichols, en salle depuis le 19 juin dernier, a failli – c’eut été déplorable – ne pas voir le jour et a subi de nombreux reports suite aux grèves hollywoodiennes de l’an passé. Même si The Bikeriders ne renouvelle pas le genre du film de motards, il transporte le spectateur dans un univers empreint de fascination, l’Amérique des sixties, où la liberté s’appelait alors Harley Davidson.