Temps mort est le premier long-métrage dans lequel Eve Duchemin est créditée à la réalisation et à l’écriture du scénario. Sac de nœuds sorti en 2012 constitue à ce jour l’unique précédent pour cette réalisatrice-scénariste mais au format court-métrage. Le récit porté par Temps mort s’articule autour de trois personnages principaux condamnés à une peine de prison. Ils bénéficient d’une permission le temps d’un week-end, possiblement le Temps mort évoqué par le titre du métrage. Ce sont ainsi trois trajectoires distinctes qui sont portées à l’écran à travers ces trois protagonistes interprétés par, du plus âgé au plus jeune, Issaka Sawadogo, Karim Leklou et Jarod Cousyns.
Pour la première fois depuis longtemps, trois détenus se voient accorder une permission d’un week-end. 48h pour atterrir. 48h pour renouer avec leurs proches. 48h pour tenter de rattraper le temps perdu.
Eve Duchemin avance alternativement ses trois fils narratifs. En cela, Temps mort constitue un bel et bien un tout. Ce film n’est pas la simple adjonction de trois courts-métrages alors que les trois récits, sans liens entre eux, auraient pu se prêter à ce type d’exercice narratif. Temps mort, véritable long-métrage donc, gagne ici une force narrative bien supérieure à celle qui aurait animé trois récits déroulés séquentiellement.
L’objectif premier de Duchemin vise indubitablement à rendre compte des difficultés de communication et d’intégration du trio de permissionnaires mis en scène. L’emprisonnement sépare les individus d’une vie familiale et d’une existence en société. Les trois trajectoires dessinées ne sont pas d’un intérêt égal mais elles permettent au final de tirer avec efficacité un triple portrait tout à la fois cohérent et sincère. Le différence d’appréciation formulée face aux trois récits provient aussi probablement d’un casting inégal. Sans surprise, la performance d’acteur de Karim Leklou dépasse celle de ses deux acolytes. Sans démériter, Issaka Sawadogo livre une prestation trop introvertie et monolithique qui ne peut pleinement satisfaire. Pour sa part, Jarod Cousyns signe ici ses grands débuts. Son inexpérience face à la caméra contraint son jeu à des limitations légitimes et à une application parfois scolaire.
Dans Temps mort, la réalisatrice s’attache aussi, en creux, à démontrer que la doctrine carcérale française ne constitue en rien une solution. En effet et en définitive, cette doctrine paraît créer plus de problèmes qu’elle n’en solutionne. Ce constat amer et sans perspective d’amélioration se révèle au final antinomique par rapport aux principes fondateurs de la politique d’emprisonnement en France. En effet, l’enfermement physique résultant d’un emprisonnement se double, subrepticement, d’un enfermement psychique qui se révèle à chaque retour ou tentative de retour à une vie dans le civil. La révélation et le traitement cinématographique de ce second enfermement contribuent pleinement à la qualité de Temps mort.