Après l’échec critique et commercial de The search (2014), Michel Hazanavicius revient à ses premières amours, celles de la comédie pastiche. Dans Le redoutable, sa cible n’est ni le cinéma américain ni l’un de ses « héros » mais l’icône intouchable du 7ème art, Jean-Luc Godard. Nullement hagiographique, Le redoutable est un portrait iconoclaste, parfois satirique, d’un cinéaste tout aussi iconoclaste.
Paris 1967. Jean-Luc Godard, le cinéaste le plus en vue de sa génération, tourne La Chinoise avec la femme qu’il aime, Anne Wiazemsky, de 20 ans sa cadette. Ils sont heureux, amoureux, séduisants, ils se marient. Mais la réception du film à sa sortie enclenche chez Jean-Luc une remise en question profonde. Mai 68 va amplifier le processus, et la crise que traverse Jean-Luc va le transformer profondément passant de cinéaste star en artiste maoiste hors système aussi incompris qu’incompréhensible.
Michel Hazanavicius adapte au grand écran le livre Un an après (2015) écrit par Anne Wiazemsky, épouse de Jean-Luc Godard durant le période 1967-1969 couverte. Il est essentiel de signaler que ce livre est un roman et non un récit de la vie de couple de la romancière avec le cinéaste. Et dans Le redoutable, malgré de fréquents regards-caméra, c’est bien le point de vue de l’actrice-romancière qui prévaut. Nous ne pouvons dès lors accoler l’unique étiquette biopic et encore moins hagiographie à ce long-métrage. Du propre aveu de Michel Hazanavicius, cette libre adaptation teintée de comédie est le reflet de la lecture amusée qu’il fit du roman d’Anne Wiazemsky.
En couvrant la période allant de la sortie en salle de La chinoise (1967) jusqu’au tournage en 1969 de Vent d’est, Michel Hazanavicius fait le récit d’une double rupture chez l’auteur du Mépris (1963). Il y a d’abord l’amorce d’une séparation sentimentale qui se concrétisera quelques années plus tard par un divorce. Et, après l’échec commercial et critique de La chinoise, Jean-Luc Godard remettra en question son cinéma pop pour finalement le renier. Cette rupture d’ordre cinématographique amènera le cinéaste à se fondre dans le collectif Dziga Vertov sur fond d’engagement maoïste et de participation aux évènements de mai 68.
Si nous dégageons les aspects politiques et la notion de rupture cinématographique, Le redoutable étant un retour aux sources pour Michel Hazanavicius, il n’est pas interdit de voir une part autobiographique dans ce film. Sous le « portrait » de Jean-Luc Godard se trame celui de l’auteur des OSS 117. À cinquante ans d’écart, il est troublant de constater que ces deux cinéastes sont dans un processus de remise en question après l’échec de leur dernier film (La chinoise, The Search) et vivent en couple avec « leur » actrice… Dans Le redoutable, Anne Wiazemsky est incarnée par Stacy Martin alors que Bérénice Bejo interprète une amie du couple star. Dès lors, la mise en abyme de la réalisation d’un film, les réflexions sur le travail du réalisateur et sa démarche créative présentes dans Le redoutable deviennent passionnantes et, pour un public cinéphile, ludiques.
L’autre aspect ludique du film réside dans l’emploi des codes cinématographiques pré-68 de Godard. Sans prétendre concurrencer son modèle, Michel Hazanavicius se montre convaincant dans ses inspirations godardiennes, parfois détournées. Il l’est moins quand il cherche, par instants, à copier le chef de file de la Nouvelle Vague. Pêle-mêle, nous recensons l’utilisation de citations (tirade sur les acteurs issue du Petit soldat par exemple), d’intertitres (le film est découpé en une dizaine de chapitres), de graffiti, de monologues face caméra ou encore le dialogue composé à travers les titres de livres à la manière d’Une femme est une femme (1961).
Les cadrages et les aplats de couleurs vives (bleu, blanc, rouge et jaune) référencent aussi l’esthétique des films pré-68 réalisés par Godard. Il en va de même pour le montage technique du film qui ménage de nombreuses ruptures de ton très inspirées. Dommage que ces imitations de codes godardiens aient été trop timidement étendues à la bande-son du Redoutable, par ailleurs porteuse de dialogues de qualité. Et nous classons au rang des petites frustrations le fameux épisode du festival de Cannes de 1968 réduit ici à un simple enregistrement sonore. Une déception bien mince face aux moyens mis en œuvre pour représenter les évènements de mai 68 dans les rues parisiennes.
En détournant les codes du cinéma des années 60 de Godard, Michel Hazanavicius parvient à les faire revivre. Une réussite qui doit aussi aux acteurs. Stacy Martin, au physique plus proche de celui de Chantal Goya ou d’Anna Karina que de celui d’Anne Wiazemsky, donne corps à cette reconstitution pré-68 du cinéma de Godard. Pour sa part, Louis Garrel ne joue pas d’une hasardeuse ressemblance physique avec le pape de la Nouvelle Vague. Il appuie avec intelligence et sans caricature sur l’oralité de son rôle en adoptant le phrasé et les inflexions vocales de son personnage.
Quelques esprits chagrins s’interrogeront sur l’opportunité de traiter en mode comédie une période charnière dans la vie de Jean-Luc Godard. Pour notre part, nous ne faisons pas ce procès à Michel Hazanavicius qui ne livre pas un véritable biopic sur l’auteur d’À bout de souffle (1960). Un des intérêts du Redoutable réside dans l’exercice de style proposé. Sur un ton plaisamment orienté vers la comédie, parfois satirique, Michel Hazanavicius pastiche le style Godard et livre une sorte de digest version potache de la filmographie pré-68 de son modèle.