Après s’être noyée pour échapper à son mari violent, le cerveau de Bella Baxter est remplacé par celui de son enfant à naître.
Avec Pauvres Créatures, Yorgos Lanthimos adapte un récit chargé de fantasmes qui sied parfaitement à son imagination visuelle et à ses ambitions formelles. Il signe en tout cas son œuvre la plus accessible, à défaut d’être la meilleure. Plus linéaire et limpide que ses premiers films – plus philosophiques et dérangeants, l’esprit du livre lui inspire des décors gaudiesques, dans chacun des lieux visité: Lisbonne, Londres, Paris tous reconstitués en studio. Certains pourront s’en émerveiller, quand d’autres n’apprécieront que fort peu l’esprit rococo et l’impression de fausseté qui s’en émane.
Lanthimos offre à Emma Stone son rôle le plus sulfureux, puisqu’ en grande partie centré sur la question d’une sexualité débarrassée de tout a priori. Un rôle à Oscar vous dira-t-on, la ficelle étant peut être un peu trop éculée (même si Les Oscars, très peu influencés par les critiques en leur endroit, se soucient très peu du renouvellement). Pour point de départ, Lanthimos – et l’auteur du livre ici adapté – reprend le mythe de Frankenstein, qu’il revisite avec provocation (le cerveau d’un bébé greffé sur le corps de sa propre mère), mais aussi une forme de modernité (au féminin donc). Celui-ci offre tout loisir à Lanthimos de convier des figures et thématiques récurrentes dans son cinéma, puisqu’on retrouve notamment le questionnement autour de la monstruosité, du rapport entre l’homme et l’animal et des frontières entre ces 2 conditions qu’il aime à imaginer/constater poreuses (à la manière d’Orwell). Ainsi, quitte à verser dans la chirurgie créative, retrouvons-nous – sans que cela ne fasse parti du récit d’origine – des poules rafistolées avec des têtes de cochons ou des chiens avec des têtes d’oie, qui gravitent autour du « château » de la princesse mi-femme, mi-monstre. Légèrement provocateur puisqu’ hypersexualisé, le conte, très peu féérique, offre quelques jolis instants, qu’ils soient comiques, oniriques, ou plus en rapport avec les interrogations que le livre soulève: si une femme venait à naître libre, comment cela se traduirait-il ? Le monde en tournerait-il différemment ?
Ne parvenant pas – et ne cherchant pas – à brouiller les pistes, à nimber le récit d’énigmes et de paraboles philosophiques mystérieuses, les intentions somme toute assez simples de Lanthimos ont pu faire dire à certains de nos confrères, amateurs de petites querelles, que le film aurait du avoir sa place à Cannes, plutôt qu’à Venise, dont il repartit avec le Lion d’or, probablement avant de recevoir quelques oscars. Nous ne partageons pas totalement cet avis; l’accessibilité de Pauvres Créatures ouvre certes les portes à une plus large reconnaissance du talent de Lanthimos, autrefois plus incompris ou marginal, mais elle le range également dans une catégorie de cinéastes à la Tim Burton, aux univers certes travaillés, foisonnants et identifiables, mais qui ne s’embarrassent plus de viser la singularité, le propos fort, bien trop attachés -et emprisonnés- par la forme plastique à laquelle ils souhaitent parvenir.