Pauline Kael, longtemps critique de films au New Yorker, s’est battue toute sa carrière pour imposer son empreinte. Une personnalité toute en éclat(s), riche d’une confiance en soi inébranlable, d’un passé complexe,…
Alors que le débat sur la crise du cinéma fait rage sur les réseaux sociaux, et que les différences de sensibilité, de culture, de connaissance donnent lieux aux plus grands raccourcis et amalgames (le french cinema bashing, la primauté du cinéma-divertissement-popcorn vis à vis du cinéma d’art, d’auteur ou d’essai), il est intéressant de s’arrêter quelque peu sur l’un des fondamentaux de cette crise, le déclin intellectuel entretenu par des médias qui ne jouent pas ou plus leur rôle de défricheurs.
Certes une place de cinéma coûte de plus en plus cher (tout comme une tomate ou une baguette, il n’y a guère que le prix des Tesla qui baissent ces temps derniers), certes certaines plateformes ont bien profité de la crise consécutive aux mesures de protection prise contre le covid, certes notre président évoque de transformer les salles de cinéma en salles de jeux vidéos (doit-on même le relayer ici – la question se pose tant ce point de vu est tout à la fois symptomatique de notre époque et infiniment consternant), certes le CNC et l’industrie cinéma sont fautifs de reproduire des gestes – notamment ces comédies faussement populaires qui ne s’embarrassent pas de clichés et fuient toute ambition artistique et ou intellectuelles- de faire preuve d’une forme de favoritisme, et de mettre en place une logique de copinage (ou entre-soi, qui s’entend quand l’idée n’est pas reprise pour reprendre une lutte plus large, l’entre-soi masculin, l’entre-soi blanc, l’entre-soi bourgeois, … certes nécessaire mais hors-sujet – parlons art et non société ou politique), mais il semble qu’un facteur soit négligé dans ces causes aux nombreuses fermetures de cinéma un peu partout dans le monde et aux statistiques de fréquentation en baisse.
L’histoire de la fréquentation des salles de cinéma a pu montrer que l’émergence de nouveaux médias, de nouvelles habitudes de consommations (tv, magnétoscope, streaming, plateformes, réseaux sociaux, …) sont directement explicatives des statistiques. Mais elle montre également, que des mesures politiques peuvent contrecarrer ces changements sociétaux (chronologie des média, exception culturelle française, plan de financements, passerelles entre médias), que la demande d’un cinéma fort et impactant existe toujours, que la cinéphilie participe toujours à la diffusion de la culture, que le cinéma se fait toujours à la fois le miroir des changements de mœurs (La Nouvelle Vague, le jeune cinéma français des années 90, le cinéma du Look, …) et son moteur.
Le cinéma n’est plus nécessairement le premier des divertissements mais il reste divertissant. Il n’a jamais été le seul Art, mais l’Industrie n’a pas encore réussi à détourner de leur chemin tous les réalisateurs et réalisatrices qui visent une perpétuelle réinvention, une affirmation esthétique, ou ne serait-ce qu’un geste – Eh oh, Eo !. La société du spectacle et le libéralisme n’ont pas plus réussi à éteindre les ambitions de renouveler et d’interroger la fonction de transmission du cinéma, qu’il s’agisse d’un message politique, ou d’un geste d’auteur. Les plateformes à ce niveau, en imposant des gabarits, des formats, exploitent certes les volontés de déconnexion et visent à l’extrême l’efficacité – et la rentabilité, mais pour qui reste curieux d’une pensée individuelle, d’un univers intime plus qu’universel, rien ne vaut encore la forme cinématographie (si ce n’est les autres arts).
A tout art son écosystème, ses cercles d’influences, ses bienfaiteurs, détracteurs et acteurs. L’Art, à l’instar de la Mode, vit de cycle fait d’inventions, de ruptures, d’essaimage, de reproduction massive, d’air du temps, mais aussi de crises, de passages à vides, de conformisme qui sont les plus souvent les terreaux parfaits à la naissance d’un nouveau cycle. Bien entendu le public participe à la naissance et à la mort de ces cycles, mais il ne peut le faire sans un premier éclairage et une première exposition. Des va-t-en-guerre sont nécessaires aux diffusions des œuvres, à leur analyse, à la diffusion de ces analyses, et on ne saurait se contenter d’une mesure de la qualité, de l’impact des œuvres au travers du critère succès constaté comme hélas les systèmes de notation à la AlloCiné ou SensCritique encouragent. De façon imagée et percutante, il se disait, dans les milieux footballistiques période Gérard Hidalgo/Platini, que la France comportait 50 millions de sélectionneurs. Certes Godard raillait à raison les professionnels de la profession, mais ce qui vaut pour le football sport-divertissement, vaut aussi pour le cinéma art-divertissement. Si le cinéma traverse à ce jour une crise de perception, s’il est par certains considéré comme divertissement non indispensable, si l’envie de Cinéma semble moindre dans les sondages – et chiffres de fréquentation- une critique s’impose, celle des médias et de la critique. En confiant les conseils cinéma à des promoteurs sans expertise, en veillant à ce que la critique cinéma ne heurte pas ou n’aille pas dans le sens contraire de l’industrie, en réduisant les temps d’antenne accordés à des penseurs, en repoussant à des horaires de plus en tardives les émissions culturelles, ou en les vulgarisant dans une logique certes bienveillante de diffusion passive, en marginalisant le propos intellectuel, en refusant l’élitisme sous prétexte d’archaïsme – les dinosaures aspirent à disparaitre- pour lui préférer des discours prétendument plus audibles, en confondant exigence avec snobisme, les médias, de plus en plus souvent tenus par des arrivistes pour qui la culture n’est pas synonyme de rentabilité immédiate, en sont les principaux responsables. Au delà de la crise des médias (et de leur propension populiste à donner à voir du spectacle efficace), notre époque connaît consécutivement une crise de la critique. De nombreux magazines, de nombreuses chaînes de télévision, de nombreux sites internet font le choix du buzz. Et quand il s’agit de buzz, le critique cinéma, cultivé, passionné, maniant le verbe, la plume et doté d’un sens de l’analyse supérieur, n’est plus le profil recherché. De facto, les places sont chères, et un cercle vicieux s’installe. Le métier de critique de cinéma n’est plus attractif, et ceux qui s’y essayent rencontrent des difficultés. Les rares qui parviennent à prendre la lumière sont triés sur le volet, selon des critères très éloignés de ce qu’ils devraient être.
Ce 16 novembre sortira en salle Qui a peur de Pauline Kael ? qui fut montré pour la première fois à la Berlinale en 2019. Ce documentaire, qui dresse le portrait d’une critique de Cinéma qui n’avait pas peur de déplaire, de faire preuve précisément d’un esprit critique, parfois non sans contradictions, et dont l’influence manifeste se fit sentir dans un sens ou dans l’autre sur le Cinéma américain des années 70 à 2000 (elle encensa Scorcese, Altman et la génération de nouveaux cinéastes, et critiqua vertement David Lean par exemple), mais aussi la réception américaine du cinéma européen (elle imposa Le Dernier Tango à Paris en cloture du festival de New York) tombe donc à point nommé.
Il permet à travers les différents témoignages recueillis de se rappeler de l’importance de la Critique, de ce rôle si particulier qu’il doit entretenir entre l’Industrie et le Public (potentiellement ses deux plus grands ennemis), de la force de caractère que cet exercice demande. Il permet de se rappeler qu’un nouveau cycle vertueux pourrait se mettre en place, à force de résistance et d’opiniâtreté, et que le Cinéma aura toujours de beaux jours devant lui si des critiques résistent aux simples vagues marketing et publicitaires, rament à contre courant, et continuent de relayer les nouvelles voies ouvertes ou à ouvrir.